par Christopher Moore
La preuve que les années soixante ont bel et bien existé
J’ai déjà entendu parler d’une fille de Hamilton, en Ontario, qui portait une jolie petite tenue et a décidé d’abandonner le groupe d’élèves de son école catholique dès leur sortie du métro à l’île Sainte-Hélène, et c’est là qu’elle a rencontré Yvan, ou quelque chose du genre, d’Outremont et ensemble ils ont visité le pavillon soviétique et celui de l’Homme à l’oeuvre, ils ont également pris place à bord du minirail bleu mais la file d’attente pour entrer au Labyrinthe était trop longue, alors ils ont vu le film à 360o sur le Canada et tout le monde était si gentil partout et si élégant, et elle a embrassé Yvan à Katimavik et il l’a amenée voir les feux d’artifice à La Ronde et ensuite elle est retournée en Ontario avec les soeurs et aujourd’hui, elle a des filles plus âgées qu’elle à cette époque, mais elle se souvient de ce moment comme des scènes d’un film de Claude Lelouch avec des écrans partagés et une trame musicale pop et elle se demande souvent ce qu’il est advenu de ce garçon, Yvan, et essaie de se souvenir de l’endroit où elle avait acheté sa belle petite tenue, et elle se dit, ouais bébé, c’était ça les années soixante, Expo 67 à Montréal, à Terre des Hommes.
D’accord, je ne sais pas si l’on peut vérifier chaque détail de cette histoire. En fait, si vous avez moins de cinquante ans, vous êtes probablement trop jeune. Plus de soixante-quinze, et vous aviez à l’époque près de quarante ans et n’étiez plus tout à fait « dans le vent ». Oui, j’aborderai des faits historiques dans cet article. Mais si vous ne pouvez plus supporter la vantardise des baby-boomers au sujet de leur génération « exceptionnelle », alors mieux vaut lire la section des critiques de livres ou autre chose, car ce sera tout de même difficile à éviter.
En plein coeur de l’exposition, le grand auteur montréalais, Hugh Hood, déclara : « C’est trop, bébé; c’est totalement différent, une synesthésie romantique, en plein ça. » Nous parlions vraiment de cette façon à l’époque, comme si le fait d’être jeune et de vivre l’Expo 67 c’était un peu comme « se trouver au paradis ».
Un désastre annoncé
« J’habitais à quelques mètres du boulevard Pie-IX, qui semblait être la route principale empruntée par les camions chargés de la terre visant à remplir le site. Pendant environ un an, la rue, une grande artère de Montréal, fut couverte de terre. Par temps pluvieux, on pataugeait dans la boue. »
— Alan, un Montréalais, dans la vingtaine en 1967.
Moscou avait été choisie ville hôte de l’exposition universelle de 1967. Ce n’est qu’après le retrait des Soviétiques que Montréal eut sa chance. Le projet prend du temps à se mettre en branle. Le gouvernement Diefenbaker n’était pas très intéressé. Personne ne croyait les promesses ambitieuses du maire, Jean Drapeau. Le plan visant à construire de nouvelles îles dans le fleuve Saint-Laurent semblait complètement fou. Au cours de l’année 1964, les fonctionnaires du gouvernement cherchaient des façons de reporter l’exposition universelle. Les Canadiens s’attendaient à ce que l’événement soit une honte, une catastrophe et un déshonneur pour la nation.
Mais les nations du monde entier signèrent leur accord. L’idée des îles ne semblait plus aussi stupide. Et sur ces îles commencèrent à se dresser des structures et des pavillons tous plus époustouflants les uns que les autres. À ce moment précis de l’histoire de l’Expo, Montréal puisait dans ce qu’il y avait de meilleur, partout dans le monde. Dès son ouverture, le 28 avril 1967, c’était l’endroit où tous rêvaient d’aller. Les Canadiens venaient de réaliser qu’ils avaient toujours su que ce serait merveilleux.
Les trois Pères de l’Expo : Drapeau, Dupuy, Churchill
Drapeau était un petit homme énergique et volontaire. La rumeur selon laquelle Montréal aurait un métro et une exposition universelle commençait à faire son chemin, on entendait parler de la construction de nouvelles îles, un concept plutôt étonnant. Et un jour, au Ed Sullivan Show, voilà qu’on présente Jean Drapeau! C’est à ce moment qu’on s’est dit : « Mon Dieu, c’est donc vrai tout ça ». Montréal était une ville fière en 1967, elle passait à l’histoire, elle était au centre du Canada.
— Carol, une Montréalaise, âgée de 18 ans en 1967.
Jean Drapeau a été le maire de Montréal pendant la majeure partie de la période s’échelonnant de 1950 à 1986, et même si l’Expo 67 n’était pas son idée, c’est grâce à lui qu’elle s’est concrétisée. La fin de sa carrière sera difficile, il est taxé de mégalomane et les Jeux olympiques entraîneront une lourde dette, mais au début des années soixante, il offre à Montréal sa Place des Arts et un nouveau métro, et il donne naissance à une nouvelle vague de développement urbain… et à l’Expo.
Pierre Dupuy, grand diplomate canadien, sera nommé commissaire général de l’Expo en 1963. Dupuy niera fermement avoir « vendu le Canada et l’Expo au reste du monde ». Il affirme qu’il a tout simplement convaincu les nations du monde de l’intérêt qu’elles auraient à participer à la plus grande exposition universelle jamais organisée. Soixante-deux pays répondirent à l’appel, un record. Cinquante millions de personnes visitèrent l’exposition, soit deux fois plus que ce l’on avait prévu.
Dupuy recrute rapidement une équipe de Canadiens anglophones et francophones pour bâtir son Expo. Le colonel Edward Churchill, un ingénieur des Forces canadiennes responsable de la construction, se servit d’un ordinateur pour établir un calendrier des travaux reposant sur le concept de « chemin critique » . À cette époque, la gestion informatisée et le recours à un chemin critique étaient des notions si novatrices qu’elles semblaient presque magiques. Mais au-delà de toute cette modernité, Churchill n’avait qu’une obsession : le respect des échéanciers.
Le triomphe du design
Nous avons été tellement impressionnés par Habitat, que d’idées nouvelles et incroyables! La façon dont les appartements sont disposés en angle et sans symétrie, tout le contraire de ce l’on observe dans un gratte-ciel. Une réalisation à la fois complexe et fascinante, quel que soit l’endroit ou l’on pose les yeux.
— Blanche, dans la quarantaine à l’époque, qui a pris le train de Penticton, en C.-B., avec son mari et ses trois adolescents.
On avait conçu et construit tout le secteur de façon à ce que l’on puisse en faire le tour. Même les poubelles étaient design! Elles étaient utiles et s’intégraient au décor général.
— John de Toronto, dans la trentaine, avec ses jeunes enfants. — John de Toronto, dans la trentaine, avec ses jeunes enfants.
En 1968, Robert Fulford publiera Portrait de l’Expo, un livre-souvenir qui est également un essai critique perspicace. Il avait deviné que le principal héritage de cette exposition serait l’architecture. Habitat 67, un complexe d’appartements préconstruit tout à fait inusité, établit la réputation de Moshe Safdie. Fulford adorait le pavillon américain de Buckminster Fuller, un dôme géodésique spectaculaire, le plus grand jamais construit, et le pavillon aérien de l’Allemagne, une innovation dans le domaine des constructions à structures flottantes. Un architecte visitant l’Exposition a affirmé qu’il « s’agissait de la plus époustouflante collection de structures qu’il ait jamais vue ».
Mais Expo 67, ce n’est pas que des bâtiments. Expo 67 est un des premiers lieux en Amérique du Nord bâtis en fonction du plaisir des visiteurs, un endroit où s’entremêlent éducation, loisirs et commerce, un lieu où les foules peuvent se promener, admirer le paysage, manger des mets exotiques, magasiner et voir un spectacle. Granville Island à Vancouver, les Waterfront Properties à Halifax, the Forks à Winnipeg et cet endroit sur les rives de la rivière Bow à Calgary ont tous un petit quelque chose d’Expo 67. Fulford souligne le travail d’un designer colombien, Luis Villa, pour ses concepts d’une grande élégance qui relient l’ensemble des infrastructures.
Terre des Hommes, un monde en fête
Nous visitions Terre des Hommes avec l’école et on essayait de nous enseigner des choses, alors que les plus vieux d’entre nous ne faisaient que s’amuser. Ils visitaient d’autres pays! On savait très bien que l’année suivante, ils les visiteraient « pour de vrai », sac au dos. À l’Expo, tout était si nouveau et si international.
— Rita, Montréalaise, âgée de 12 ans.
Pierre Dupuy a affirmé que dans la plupart des autres expositions universelles, on choisissait un thème qu’on s’empressait ensuite d’oublier. Terre des Hommes/Man and His World, une image inspirée par l’auteur et visionnaire français Antoine de Saint Exupéry, était un thème fort. L’Expo sera la première manifestation d’une philosophie humaniste reposant sur le partage, les possibilités technologiques, les prouesses créatives et une confiance absolue dans le pouvoir de l’humanité et son potentiel. En fait, l’Expo témoigne du triomphe du monde occidental. La République populaire de Chine de Mao Tse Tung n’est pas représentée (mais Taïwan le sera), l’Afrique à peine, et l’Amérique latine n’y fait que de timides apparitions. Dans le roman de Stephen Gill intitulé Immigrant, ce dernier raconte qu’un visiteur sud-asiatique se fait demander un autographe simplement du fait qu’il est exotique. Cette confiance dans la capacité de l’humanité à réaliser de grandes choses était présente partout. Le monde de l’homme était voué à l’excellence, tout n’était qu’une question de perfectionnement.
« La découverte de la fierté »
On pouvait voir l’Expo 67 à bord du bateau qui entrait dans le port de Montréal. Tôt le matin, l’éclat du dôme géodésique de Buckminster Fuller reflétait l’espoir et l’optimisme. J’étais impatiente de vivre le Canada, de vivre une nouvelle vie. Montréal était une ville merveilleuse, et ma première image du Canada me vient de l’Expo.
— Trysh, une immigrante de Grande-Bretagne, au début de la vingtaine.
Pierre Dupuy intitula ses mémoires Expo 67 ou la découverte de la fierté. « Que se passe-t-il avec notre voisin d’habitude si ennuyeux? » se demandaient les Américains. Les Britanniques affirment que l’Expo a de l’éclat et du sex appeal, tout en étant… Canadien? Selon Dupuy, cette poussée de confiance et de fierté à l’égard de cette grande réalisation et de sa reconnaissance internationale changera le Canada à tout jamais. Le jour de l’ouverture, le journaliste Peter C. Newman écrivit : « C’est la plus grande chose que nous ayons réalisée en tant que nation ».
Il y a un moment dans presque chaque décennie où le Canada « devient une nation », et l’Expo 67 fut certainement un de ces moments. Alors que les merveilleuses célébrations du centenaire battent leur plein, au cœur d’Expo 67, jamais les Canadiens n’ont été plus fiers ni plus patriotiques.
Le pavillon du Canada prend l’allure d’une vaste pyramide inversée et est baptisé Katimavik, signifiant « lieu de rencontre » en inuktitut. Il n’y a pas grand-chose à y faire, mais l’endroit devient en quelque sorte un lieu de recueillement. « Tout le monde était si heureux, se souvient un Canadien, nous ne savions pas ce que le reste du pays pensait de nous, et du jour au lendemain, nous allions à la rencontre d’autres Canadiens qui avaient un secret : nous avons réellement un pays à nous. À chaque moment, nous rencontrions des gens, nous leur touchions, nous nous exclamions "je ne peux pas croire que tout cela soit vrai" ».
Une nouvelle relation avec le cinéma
De merveilleux films, projetés sur les murs et sur les plafonds, partout! Le fameux film Ontari-ar-ario et toutes ces images fractionnées. J’ai vu la naissance d’un bébé au cinéma, je n’avais jamais vu rien de tel.
— Judith, douze ans, venue d’Espanola, en Ontario, avec sa mère.
Je me souviens du film projeté à 360°, sans doute une technique périmée aujourd’hui, mais je me rappelle distinctement m’être accrochée à la rampe pendant la scène de l’hélicoptère.
— Barbara, début de la vingtaine, Britanno-Colombienne fonctionnaire à Ottawa.
Avec Expo 67, le film déborde des salles fermées à un seul écran et où le public est immobile. L’événement devient une vitrine de l’innovation dans ce domaine : interactivité, écrans multiples et omniprésence. Les gens ne visitaient pas l’Expo pour les films, mais ceux qui furent présentés annonçaient ce que serait le cinéma du futur.
Mais c’était bien plus que du cinéma. En 1968, Robert Fulford écrit : « À l’Expo, on a entrevu un monde où toutes les ressources qui auparavant étaient réservées aux industries privées et au monde du showbusiness, soit le film, l’éclairage, les environnements soigneusement organisés, pouvaient maintenant être exploitées par des professionnels de l’éducation, dans les écoles, les galeries et les musées ». L’éducation au moyen de l’électronique. Pour le meilleur et pour le pire, c’est la voie que nous suivons depuis cette époque.
« Aujourd’hui, l’Expo fait partie de l’identité québécoise »
En 67 tout était beau/C’etait l’année d’l’amour, c’était l’année d’l’Expo
— Le groupe québécois Beau Dommage, avec le « Blues d’la métropole », 1975.
« Tout le monde a sauté sur cet événement extraordinaire qu’était l’Expo 67 pour bâtir une image flatteuse et enthousiaste du Québec », écrit l’anthropologue de l’Université Laval, Pauline Curien. Sa thèse de doctorat de 2003 sur l’Expo 67 analyse la façon dont l’Expo a contribué à créer une nouvelle image du Québec français, soit le moment où le monde moderne a cessé d’être une menace. En 1967, le Québécois francophone moderne supplante l’image folklorique du Canadien-Français dans l’imaginaire populaire. À l’Expo, les Québécois choisiront tout simplement la modernité.
Les pavillons du Québec et de l’Ontario semblaient avoir été intervertis, ce qui ne passa pas inaperçu auprès des visiteurs. Alors que le pavillon-tente « aérien » de l’Ontario symbolise la joie de vivre, le cube de verre du Québec représente l’énergie, la technologie et l’élégance urbaine. Pauline Curien prétend que le pavillon du Québec renvoyait l’image d’une société libérée de son passée et tournée vers l’avenir, où foi, tradition et Église catholique cédaient le pas à la raison, à la modernité et à l’État.
L’Expo 67 prouve que les familles catholiques canadiennes-françaises traditionnelles avaient donné naissance à l’un des peuples les plus cool du monde. Le Québec y a découvert ce dont il était capable. Le message que véhicule l’Expo sur sa portée mondiale, ses prouesses techniques et les gloires du monde moderne est également une découverte pour le jeune Québec.
Les Filles de l'Expo
Ma sœur a travaillé à l’Expo. Elle portait une tenue d’hôtesse conçue par John Warden. On allait à Montréal pour voir les filles, c’était l’époque des mini-jupes et des « pantailleurs », tout le monde était beau!
— Carol, Montréal, 18 ans.
En lisant les documents et les guides de l’époque, on pourrait croire qu’il n’y avait jamais eu de jolies filles avant, ou encore que les hommes ne les avaient jamais remarquées! Même après quarante ans, je m’étonne encore de lire des textes sur 1967 où l’on parlait des filles de l’Expo, comme si elles faisaient partie du design, du décor, des objets de beauté que l’on admire béatement. Les hôtesses étaient belles et bilingues et elles portaient de jolies petites tenues, leurs cheveux étaient longs et droits. En fait, elles représentaient toutes les filles de Montréal cet été-là. C’était vraiment une Terre des Hommes! Aujourd’hui, je crois que personne n’oserait donner un tel nom à une exposition.
Être là, tout simplement
Les foules – j’adorais les foules, joyeuses, contentes de faire partie de la fête, j’aime les foules quand elles sont comme ça. Les gens parlaient français, c’était chic et de bon goût, et on ne s’ennuyait pas un instant. Toute l’ambiance de l’Expo était si rafraîchissante, si nouvelle, si « dans le vent ». La Ronde était un endroit merveilleux!
— Elaine, 21 ans, du New Hampshire, qui visita l’Expo à plusieurs reprises.
J’ai vu l’orchestre du Bolshoï à la Place des Arts. Quand je repense à la richesse des œuvres présentées à la Place des Arts cet été-là! Ce fut un moment fascinant pour notre culture canadienne : nos artistes se retrouvaient aux côtés des meilleurs au monde. Toute cette richesse culturelle m’émerveille encore. C’est là que je suis tombé en amour avec Montréal.
— Guenther, 17 ans, de Cambridge, en Ontario.
Un moment d’euphorie sans précédent, un éclair de lucidité qui nous a fait comprendre ce que c’était que d’être Canadien.
— Gunda, une jeune adulte de retour au Canada après un séjour en Europe.
Il y avait foule. Dès les premiers jours jusqu’à la fermeture en octobre, on a accueilli bien plus de visiteurs que ce l’on avait prévu. L’hébergement était problématique. Il y a eu des scandales sur l’approvisionnement en nourriture, des moments de panique lors des longues files d’attente qui faisaient le tour des pavillons les plus populaires, tous les jours.
Quarante ans plus tard, les seuls qui se souviennent de ces détails sont les parents accompagnés de leurs jeunes enfants. Pour les autres, les foules étaient plaisantes, la nourriture excellente et nouvelle, et les souvenirs des longues files d’attente sont depuis longtemps effacés. Mais encore aujourd’hui, tous ceux qui étaient là évoquent le plaisir de faire partie d’Expo 67, tout simplement.
Christopher Moore est un historien et un auteur de Toronto et un chroniqueur régulier de Canada’s History. En 1967, à 17 ans, il partit de la Colombie-Britannique pour visiter l’Expo à Montréal, sans cependant avoir l’occasion d’embrasser une fille. Il remercie ses amis et associés, partout au pays, qui lui ont fait part avec tant d’enthousiasme de leurs souvenirs d’Expo 67. Le livre de Robert Fulford Portrait de l’Expo, est une source exhaustive d’information sur le sujet.