C'est toute la haute société du début du XXème siècle et des deux bords de l'Océan Atlantique qui se retrouve à bord du Titanic, certains ayant même retardé leur départ d'Europe pour pouvoir effectuer la traversée inaugurale du plus grand et du plus luxueux paquebot du monde. Quand je dis la haute-société, ça va des hommes d'affaires plus ou moins multimillionnaires à gens aisés de la haute-bourgeoisie. De par la position sociale des passagers de Première Classe, l'Histoire a retenu le nom, le destin et souvent même les visages de chacun, ce que je ne peux pas couvrir sur ce blogue. J'en resterai donc aux passagers les plus connus et à ceux qui ont eu un destin particulier.
En Première Classe, il y avait en tout 325 passagers (175 hommes, 144 femmes et 6 enfants) lors de la traversée inaugurale.
Vous avez déjà pu apercevoir la famille SPEDDEN sur le Pont A du Titanic en train de jouer au Shuffleboard. La voici au grand complet : le père Frederic Oakley SPEDDEN (1867-1947), la mère Margaretta Corning "Daisy" STONE-SPEDDEN (1872-1950), et leur fils unique Robert Douglas SPEDDEN (1905-1915), que l'on revoit en photographie en dessous (âgé de neuf ans, sur la photo du dessus il en a quatre. Il avait six ans et demi à bord du Titanic). Sur la photo de famille, remarquez l'ours blanc en peluche (devant le fauteuil de l'enfant, au niveau de ses jambes). Il s'agit de sa peluche favorite, Polar, nous en reparlerons... Ils ont embarqué sur le Titanic à Cherbourg pour rentrer chez eux dans le Maine, aux États-Unis, après une série de voyages transatlantiques et une visite de l'Europe qui dure depuis 1911.
Voici maintenant William Ernest CARTER (1875-1940), heureux propriétaire d'une Renault 1912 voyageant dans les cales du Titanic. Il fallait oser transporter une automobile par bateau tant ces engins étaient précieux à l'époque.
Les deux principaux concepteurs du navire étaient à bord.
Joseph Bruce ISMAY (1862-1937), président de la White Star Line en personne. Il voyage gratuitement dans la suite multimillionnaire B-52/54/56, dont les deux premiers locataires se sont désistés. Il n'est à bord que pour vanter les mérites de la compagnie et du navire. S'il a beaucoup fréquenté le capitaine durant la traversée, il n'a jamais mis les pieds dans la passerelle et n'a jamais influé sur aucune décision, pour la simple raison qu'il ne connaissait rien à la navigation. En revanche, il a bien demandé des essais de vitesse, approuvés par ANDREWS, pour la journée du 15 Avril, certainement pas en pleine nuit. Il ne fut pas l'arrogant inconscient que l'Histoire a dépeint.
L'architecte naval Thomas ANDREWS (1873-1912) est aussi du voyage, comme pour chaque traversée inaugurale de ses créations. Il en profite pour prendre en note l'avis des passagers, visiter le navire, voir comment il se comporte et ce qui pourrait être améliorer sur le navire suivant, en l'occurrence le Gigantic en construction. Mais lui, il paye son billet.
Quelques militaires et hommes d'affaires influents sont à bord.
Le major américain Archibald Willingham BUTT (1865-1912), attaché militaire à la Maison blanche, parti se reposer six semaines en Europe sur les conseils de son ami Francis David MILLET (également à bord) pour s'éloigner de la campagne électorale qui oppose deux de ses amis. Il revient à bord du Titanic.
Le colonel américain Archibald GRACIE IV (1859-1912), de retour d'un voyage en solitaire en Europe, il va retrouver son épouse.
Le colonel américain et homme d'affaires John Jacob ASTOR IV (1864-1912), à la fortune colossale, qui a récemment divorcé (en 1909) pour épouser (en 1911) une jeune femme de 17 ans, Madeleine Talmage FORCE qu'il s'est empressé de mettre enceinte. Pour échapper aux ragots et aux rumeurs, ils sont partis quelques mois en Europe et en reviennent.
L'aviateur français Pierre MARÉCHAL, embarqué à Cherbourg.
Le major canadien Arthur Godfrey PEUCHEN (1859-1929), homme d'affaires montréalais, yachtman confirmé qui a déjà traversé l'Atlantique plusieurs fois à bord de son propre bateau.
Arthur PEUCHEN voyage en compagnie de son ami le célèbre banquier montréalais Harry Markland MOLSON (1856-1912), amateur comme lui de navigation et directeur/fondateur de la Société Protectrice Canadienne des Animaux (SPCA). À noter que PEUCHEN a convaincu son ami MOLSON de retarder son voyage de retour en Amérique de près de trois semaines pour effectuer la prestigieuse traversée inaugurale du Titanic.
Se trouve aussi à bord le magnat du cuivre, héritier de l'empire industriel et commerical de son père, l'un des hommes les plus riches de la planète, Benjamin GUGGENHEIM (1865-1912), qui voyage seul bien qu'étant marié... Très bel homme, sa réputation de séducteur n'est plus à faire.
Du voyage aussi le propriétaire de la chaîne de magasins Macy's, Isidor STRAUS (1845-1912) et son épouse Rosalie Ida BLUN-STRAUS (1849-1912).
L'homme d'affaires George Dunton WIDENER (1861-1912), qui voyage en compagnie de son épouse Eleanor ELKINS et de leur fils aîné Harry ELKINS-WIDENER (1885-1912).
Deux magnats du chemin de fer nord-américain sont sur le Titanic.
Charles Melville HAYS (1856-1912), directeur général de la Compagnie de chemin de fer du Grand Tronc du Canada, et son épouse. Il doit inaugurer le Château Laurier à Ottawa.
John Borland THAYER Junior (1862-1912), vice-président de la Pennsylvania Railroad, qui voyage avec son épouse Marian Longstreth MORRIS et leur jeune fils de 17 ans John Borland "Jack" THAYER III Junior (1894-1945).
La famille ALLISON, s'il y a une famille de Première Classe qui a connu un destin tragique sur le Titanic, c'est bien celle-là ! Hudson Joshua Creighton ALLISON (1881-1912) mène une carrière florissante dans le secteur bancaire à Toronto. Il voyage avec son épouse Bessie "Bess" Waldo DANIELS-ALLISON (1886-1912), de leur femme de chambre Sarah "Sallie" DANIELS et de leurs enfants Loraine ALLISON (1909-1912) et Trevor ALLISON (1911-1929), gardés par la gouvernante récemment engagée Alice Catherine CLEAVER (1889-1984), que l'on voit sur la photo avec les enfants.
Des femmes de caractère étaient sur le paquebot.
Helen Churchill CANDEE (1858-1949), décoratrice et écrivaine américaine. Elle fut beaucoup en compagnie de l'écrivain Jacques FUTRELLE durant la traversée... Féministe fervente et activiste dans ses écrits.
Margaret Tobin "Molly" BROWN (1867-1932). Sans fortune, elle est devenue riche en même temps que son mari James BROWN suite à la découverte d'or au Colorado (États-Unis d'Amérique). Même en entrant dans la haute-société, elle garda son franc-parler, ses expressions et surtout n'oublia jamais d'où elle venait. Elle ne manquait jamais de défendre les démunis et était redoutable dans les débats à table en Première Classe. Elle n'était pas très bien vue mais elle était très riche, ce qui compensait et faisait qu'on la supportait à sa table. Elle était appréciée de l'équipage car elle décrassait sévèrement sa classe ! Féministe convaincue et activiste enragée.
Lady Lucy Noël Leslie Martha, Comtesse de Rothes (1878-1956), en voyage de découverte en Amérique, elle occupe une cabine moyenne et voyage pour l'agrément et pour le prestige. Elle sera surtout connue par après pour son courage dans les canots de sauvetage.
Des sportifs rentraient également en Amérique. Deux tennismen ! Richard Norris WILLIAMS (1891-1968), à gauche sur la photo, vainqueur de l'US Open 1912 en double mixte et rentrant d'un tournoi en Europe. Karl Howell BEHR (1885-1949), à droite, avocat de formation qui se trouve sur le Titanic car il se livre depuis près d'un an à un jeu de séduction auprès d'une jeune fille, Helen NEWSON (photo du dessous), dont la famille refuse obstinément qu'elle l'épouse. Aussi depuis 1911 s'invente-t-il des prétextes pour suivre la famille NEWSON, selon la bonne vieille méthode dite du "Tiens ? Vous aussi vous allez là ? Quelle coïncidence !". La famille NEWSON s'étant rendue à Paris pour affaire, le voilà qui la suit pour aller disputer un tournoi de seconde zone en hiver à Paris. Ils retournent aux États-Unis sur le Titanic, lui aussi ! Cela étant, les deux tennismen se connaissent et sont amis mais n'allez pas imaginer un mauvais téléroman ou une situation vaudevillesque, WILLIAMS n'a jamais approché Helen, qui a fini par épouser BEHR en 1913.
Citons quelques artistes pour terminer.
Rien de moins que le peintre Francis David MILLET (1846-1912), qui accompagne son ami le major BUTT et dont les toiles se vendent à prix d'or autant en 1912 qu'aujourd'hui.
Le sculpteur français Paul-Romain Marie Léonce CHEVRÉ (1866-1914), l'artiste auteur de la statue de Samuel de CHAMPLAIN devant le Château Frontenac (1896-1898) et de la statue de François-Xavier GARNEAU devant le Parlement de Québec (1911). Très connu et très apprécié au Canada (où il passe la moitié de sa vie), il est à peine rentré en France après l'inauguration de la statue de GARNEAU qu'il est contacté par Charles Melville HAYS qui l'invite à l'accompagner à l'inauguration du Château Laurier à Ottawa.
Le journaliste et écrivain pacifiste William Thomas STEAD (1849-1912). Invité à New-York pour une conférence sur la paix dans le monde, un peu mystique sur les bords, sa compagnie est néanmoins appréciée car c'est un grand conteur. Il fait partie de ces passagers qui n'acceptent de voyager qu'avec le commandant SMITH, dont il est devenu un ami. Ironie, il avait écrit en 1886 une nouvelle qui s'intitulait "Comment le Paquebot postal sombra au milieu de l'Atlantique, par un survivant" et qui racontait le naufrage (causé par un iceberg) désastreux, meurtrier mais fictif du R.M.S. Majestic de la White Star Line, commandé par SMITH, qui transporte 916 passagers alors qu'il n'y a que 390 places dans les canots de sauvetage... De là à dire qu'il a eu une prémonition... Il militait également auprès des compagnies pour qu'elles emportent un nombre adéquat de canots.
Pour en terminer avec les artistes et cette brève revue des passagers de Première Classe, nommons l'écrivain américain Jacques FUTRELLE (1875-1912). Dans la journée du Mercredi 10 Avril 1912, il discute sur le Pont supérieur avec le photographe Francis BROWNE qui l'immortalise devant le gymnase. Voilà donc (photo du bas) l'aspect extérieur du gymnase et du Pont supérieur du Titanic, doublé du dernier cliché que l'on a de Jacques FUTRELLE en vie.