On connaît surtout Ignace Bourget pour le rôle qu’il a joué dans la consolidation d’une Église ultramontaine au Québec. Or, là n’est pas sa seule contribution à l’Histoire du Québec, bien au contraire. En faisant de la religion la principale caractéristique du peuple canadien-français, Mgr Bourget a aussi contribué à créer une identité nationale au lendemain de l’Acte d’Union (1840) et c’est cet aspect méconnu de son œuvre que Roberto Perin s’emploie à dévoiler dans Ignace de Montréal, Artisan d'une identité nationale (Boréal, 2008).
Ainsi, on y apprend comment l’évêque a conféré à Montréal un véritable visage canadien-français par l'intermédiaire des institutions et associations établies grâce à son initiative personnelle ou à celle de certains adeptes de ses idées. Bien loin de rester seulement dans la sphère idéologique – et c’est là l’un des intérêts de cet ouvrage – Perin démontre concrètement comment cette volonté s’est affirmée et comment elle marque, encore aujourd’hui, le visage de la ville de Montréal. En construisant couvents, écoles, églises et autres bâtiments à vocation religieuse, Mgr Bourget offre une réponse à la présence de plus en plus marquée de la communauté anglophone, dont les immeubles et l'organisation spatiale traduisent les spécificités. D’autant plus que ces bâtiments sont regroupés en véritables « grappe[s] d'édifices religieux » (p. 65) et sont majoritairement l'œuvre d'un même architecte local, Victor Bourgeau, ce qui ajoute à l'unité et au caractère distinctif de ces ensembles et affirme concrètement et visuellement la présence francophone dans la ville.
De même, dans la deuxième partie de son ouvrage, Perin montre bien que, derrière les différents conflits ayant monopolisé une grande partie des énergies de l’évêque, se cache aussi une volonté nationaliste. Derrière sa lutte contre les Sulpiciens pour diviser la paroisse Notre-Dame-de-Montréal en plusieurs paroisses, il faut voir un désir de rapprocher les fidèles des lieux de culte et d’accentuer le sentiment communautaire qui s'y rattache. De même, son combat pour obtenir une université catholique francophone à Montréal a pour but d’éloigner la jeunesse estudiantine de l’Université McGill qui représente, selon Bourget, un grave danger d’assimilation.
Si cette monographie présente l’intérêt de bien mettre de l’avant cette dimension peu connue du deuxième évêque de Montréal, son auteur aurait cependant gagné à être plus nuancé dans son propos. En effet, les passages permettant de poser un regard plus critique sur le personnage sont plutôt rares et Perin se laisse parfois entraîner dans cet « effort de redressement » (p. 9) que l’ouvrage prétend constituer. Néanmoins, Perin a indéniablement le mérite de donner à l’œuvre de Bourget une nouvelle perspective et, en ce sens, son livre constitue un incontournable pour toute personne s’intéressant au personnage ou au développement du nationalisme québécois.
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PERIN, Roberto. Ignace de Montréal, Artisan d'une identité nationale. Montréal, Boréal, 2008, 303 p.