L’arrondissement historique de la Ville de Québec paraît immuable. Ses fortifications, ses bâtiments français du 17e siècle et ses rues de pierre ne semblent pas avoir été inquiétés par les aléas de la conservation historique comme si, de tout temps, il eût été naturel de préserver ce coin de pays. De nos jours, l’arrondissement jouit d’une protection solide, spécialement en raison de son inclusion à la Liste du Patrimoine mondial de L’UNESCO en 1985. Il en a toujours été de même, n’est-ce pas? La réalité est pourtant toute autre. Bien des éléments si distinctifs du Vieux-Québec sont passés à un cheveu de la destruction, et auraient été détruits, n’eurent été les éclairs de génie collectifs et individuels de gens préoccupés par le patrimoine immobilier québécois.
L’historique de la conservation des bâtiments du Vieux-Québec reste assez simple si l’on se contente d’énumérer les maisons historiques. Cependant, dénicher des décisions concrètement motivées par le désir de conservation pour des raisons patrimoniales pose défi, car les sources loquaces font défaut. Voici cependant quelques exemples d’aménagements intacts conservés avec une idée patrimoniale en tête.
Le plus vieil exemple de conservation dans l’arrondissement historique date probablement du 17e siècle, alors que presque tout était neuf à Québec. Les Ursulines, qui fondèrent la première école pour fille en Amérique du Nord en 1639, se relevaient alors du second incendie qui a frappé leur monastère, le 20 octobre 1686. Le bâtiment principal, l’aile Saint-Augustin, gisait en ruine. Heureusement, l’aile Sainte-Famille, épargnée par le brasier, était alors en construction. Comme la nouvelle aile ne suffisait pas à accueillir confortablement la communauté et l’école, les Ursulines firent allonger la maison vers le sud-ouest, en 1687. Or, deux structures à la valeur patrimoniale inégalée, le puits et l’âtre où Marie de l’Incarnation avait puisé de l’eau et préparé la sagamité, empiétaient sur le plan de construction. Au lieu de les détruire ou de les déplacer, les religieuses firent construire la rallonge en les englobant au sein du couvent. Ce faisant, elles préservèrent ce qui est aujourd’hui un des plus vieux aménagements coloniaux intacts de la Nouvelle-France. Cette partie du monastère reste cependant inaccessible au public, car elle se situe dans le cœur même du monastère, endroit où résident les religieuses encore aujourd’hui.
Il faut attendre la deuxième moitié du 19e siècle pour retrouver semblable initiative. En 1862, les Augustines situées à l’Hôpital Général décident de restaurer le moulin à vent de la communauté endommagé par l’incendie du quartier Saint-Sauveur. Les annales de la communauté notent que le bâtiment n’était plus en usage, ce qui montre que la valeur patrimoniale du moulin était supérieure à sa valeur d’utilité au moment de la reconstruction.
La volonté de préservation immobilière qui a eu le plus d’impact sur le Vieux-Québec est sans contredit celle de Lord Dufferin, gouverneur général du Canada de 1872 à 1878. En 1871, la Royal Artillery, dernier bataillon de l’armée britannique dans la forteresse de Québec, quitte la citadelle. Le gouvernement fédéral, gestionnaire des installations militaires, jugea inutile la préservation des fortifications et portes de la vieille ville, et ordonna de démolir le tout. Dufferin, arrivé au Canada en juin 1872, persuada John A. Macdonald de stopper les démolitions. Probablement inspiré par les travaux d’Eugène Viollet-le-Duc, le gouverneur général proposa une série de restauration et d’embellissements illustrés magistralement par John Henry Walker. La plupart de ces travaux n’auront pas lieu du temps de Dufferin, mais seront exécutés plus tard pour donner l’ensemble défensif que nous connaissons aujourd’hui.
À la même période, cependant, certains immeubles historiques de la ville de Québec étaient démolis, ce qui démontre que la volonté de préservation des monuments immobiliers ne résultait trop souvent que d’une initiative privée, et non pas collective ou étatique. L’exemple du Collège des Jésuites est probant. Le bâtiment, érigé en 1635, puis reconstruit en 1647 à la suite d’un incendie, accueillait l’institution qui forma les premiers érudits canadiens-français, dont Louis Jolliet. Même si la vocation de l’endroit changea à la suite de l’invasion britannique de 1759, devenant alors une caserne militaire, l’ensemble architectural resta généralement intact. Alors que Lord Dufferin était encore en poste, en 1877, le Collège des Jésuites fut détruit pour être remplacé, planifia-t-on, par le futur Parlement. Le terrain, jugé trop petit, fut vendu à la ville de Québec, qui y bâtit l’Hôtel de Ville. Ni le fait qu’il s’agissait de la première école du Canada, ni le fait que le bâtiment soit un des plus vieux exemples d’architecture religieuse du pays n’arrêta les démolitions.
Les premières actions gouvernementales concrètes visant la préservation du patrimoine immobilier viendront du gouvernement du Québec. En 1922 est adoptée une loi visant le recensement et le classement des monuments jugés historiquement ou artistiquement intéressants. L’église Notre-Dame-des-Victoires, considérée la plus vieille église en Amérique du Nord, est classée en 1929. Bien qu’il s’agisse du seul bâtiment classé grâce à cette règlementation, un changement de mentalité s’était opéré, et un précédent avait été créé. La culture industrielle, qui accélérait les constructions et les démolitions, ainsi que l’affaire du Manoir Louis-Joseph-Papineau soulevée par Marie-Louise Marmette Brodeur furent les principaux vecteurs de conscientisation du gouvernement. La Loi comporte toutefois une lacune majeure : le classement peut être refusé par le propriétaire, qui peut alors effectuer des modifications sans l’accord du gouvernement.
Plus de vingt ans s’écoulèrent avant que ne soient classés d’autres bâtiments de Québec, et que les propriétaires soient contraints d’obtenir une autorisation gouvernementale avant de procéder à des rénovations. Cela fut fait en vertu de la nouvelle Loi relative aux monuments, sites et objets historiques ou artistiques, adoptée en 1952. Bien que timide au départ, le nombre de classements explosa après l’indignation générale causée par la destruction de la tour de l’Hôtel-Dieu de Québec. En moins de 15 ans, près de 200 bâtiments ont été mis sous la protection de la Loi. Il s’agit là d’une volte-face remarquable de la part tant du gouvernement que de la société. En outre, l’année 1963 offrit une nouvelle innovation : la création de l’Arrondissement historique du Vieux-Québec, qui protège l’ensemble du territoire au sein des fortifications et autour de Place-Royale. Le caractère unique du Vieux-Québec était ainsi reconnu par le gouvernement du Québec.
En 1985 s’ajouta une couche supplémentaire de protection de la vieille ville. L’UNESCO intégra le Vieux-Québec dans sa prestigieuse Liste du patrimoine mondial, qui reconnait les lieux les plus importants pour l’humanité. L’inscription à la Liste aurait pu facilement achopper sans les efforts de préservation globaux et spécifiques faits au cours des décennies, à commencer par la décision pionnière de Lord Dufferin de sauvegarder l’ensemble fortifié. En effet, outre le fait que Québec soit le berceau de la culture française en Amérique, l’UNESCO a jugé que l’arrondissement était « un exemple exceptionnel d’une ville coloniale fortifié, de loin le plus complet au nord du Mexique », critère distinguant Québec de Montréal, par exemple, qui possédait jusqu’au 19e siècle un ensemble de fortifications comparable à celui de Québec.
Malgré les grandes victoires remportées, le travail des professionnels et des bénévoles de l’histoire n’est pas terminé, tant s’en faut. En réalité, depuis quelques décennies, se produit un phénomène alarmant quoique prévisible : le vieillissement des communautés religieuses. À travers le pays, plus d’une centaine de congrégations ont veillé à l’éducation, aux soins et à bien d’autres besoins de la population. Ces ordres ont accumulé au cours des siècles un patrimoine à la valeur historique inestimable constitué non seulement de bâtiments et d’objets religieux ou profanes, mais aussi de traditions orales et de cultures propres à chaque monastère, abbaye ou couvent. Plusieurs organismes s’occupent heureusement de préserver une partie - infime, mais infiniment précieuse - de ce patrimoine dit immatériel et de le faire connaître à l’aide de musées, de centres d’interprétation, de site Web, etc. Il est cependant impossible à ces professionnels et bénévoles d’effectuer ce travail sans un appui constant de la population.
Lorsque vous planifierez vos prochaines vacances en famille, posez-vous la question suivante : connaissons-nous vraiment notre propre patrimoine historique, culturel et naturel ? Sinon, préparez-vous à des surprises ! Le Canada est aussi diversifié qu’il est fascinant. Voyager dans son propre pays, c’est aussi encourager des gens passionnés et fiers de leur patrimoine. Ils vous transmettront leur passion à coup sûr.