par Catherine Duquette
Notre histoire se déroule dans une classe d’histoire contemporaine de 5e secondaire. L’enseignant voulant développer les habiletés à débattre de questions actuelles de ses élèves leur propose de recréer une session de l’ONU. Engouement général chez les élèves, ces derniers s’approprient rapidement un pays qu’ils représenteront lors de l’activité. À date, tout va bien. Les choses commencent à se gâter lorsque le sujet à débattre est proposé : les conflits entre Israël et la Palestine. Deux élèves d’origine palestinienne s’aperçoivent que la France, le pays qu’ils doivent représenter au conseil, tend à soutenir Israël plutôt que la Palestine. Ces derniers outragés refusent ouvertement de participer à l’activité et ils donnent comme raison le fait qu’ils ne peuvent moralement pas s’associer aux positions soutenues par la France. L’enseignant embêté propose aux élèves de modifier leur choix de pays et d’en choisir un avec des politiques en faveur de la Palestine. Une fois ce problème réglé, l’activité se poursuit. Cepen dant, un sentiment de malaise demeure chez l’enseignant : a-t-il pris la bonne décision? Cet exemple, tiré d’un fait vécu, démontre bien la complexité de l’enseignement de l’histoire contemporaine surtout lorsque l’enseignant désire s’attaquer à des questions controversées. Que faire dans de pareilles situations? Est-il possible d’exploiter favorablement la controverse? Si oui, de quelle manière?
Ces questions sont de plus en plus d’actualité au Québec car à la rentrée de 2009, les élèves de cinquième secondaire suivront pour la première fois le nouveau cours portant sur les enjeux du monde contemporain. Ce cours, qui remplacera les anciens cours d’économie, d’histoire et de géographie, a pour objectifs : « d’amener les élèves à saisir la complexité du monde actuel et à s’ouvrir à la diversité des sociétés qui la composent ». Ces objectifs seront en partie atteints grâce à l’étude d’enjeux de société dans d’une perspective historique. Cette dernière permet en effet de comprendre l’évolution et la complexité de ces enjeux qui, par l’analyse de leur développement dans le temps, permet de comprendre leur évolution et leur complexité. La pensée historique devient alors, en ce sens, l’outil essentiel pour parvenir à une telle compréhension, dans le temps puisque qu’elle seule conduit à l’interprétation critique des événements du passé. Cependant, de nombreuses études tendent à démontrer que l’apprentissage de la pensée historique pose problème à bon nombre d’élèves. Ces derniers auraient, en effet, de la difficulté à faire des liens entre les événements du passé et les enjeux du présent, ce qui limiterait leur capacité à interpréter les enjeux contemporains dans une perspective historique. De quelle manière les enseignants peuvent-ils aider leurs élèves à comprendre la complexité de ces enjeux et leurs liens avec le passé? Une solution à ce problème se trouve peut-être déjà dans le programme. En effet, les enjeux étudiés sont fréquemment la source de controverses et ces dernières sont peut-être une clé permettant aux élèves d’atteindre les objectifs du programme.
La Conquête : un exemple d’une controverse historique
La controverse « historique » est une controverse entourant l’interprétation de certains événements du passé par les historiens. Les conséquences de la Conquête britannique sur société de la Nouvelle-France est un bon exemple de ce type de controverse. En effet, il existe plusieurs écoles de pensée sur le sujet et, parmi ces dernières, les écoles historiques de Montréal et de Québec proposent une interprétation divergente des résultats du même événement. Ainsi, de manière très générale, l’école de Montréal, qui inclut des historiens tels Michel Brunet, Maurice Séguin et Guy Frégault, propose une vision souvent dite « plus traditionnelle » des effets de la Conquête sur la société québécoise, selon laquelle cette dernière doit lutter pour conserver ses origines francophones. À l’opposé, les tenants de l’école de Québec, tels Fernand Ouellet et Jean Hamelin, interprètent la Conquête moins comme le début d’une lutte entre deux peuples que comme un événement parmi d’autres qui a contribué à former la société québécoise moderne.
L’intérêt d’enseigner la Conquête à partir des controverses entourant son interprétation est double. D’une part, l’étude des écoles de pensée aide l’élève à comprendre que l’histoire n’est pas un récit unique et véridique du passé, mais bien une interprétation des événements du passé et de leurs conséquences sur le présent. Sans tomber dans un relativisme exacerbé, l’étude de la Conquête à partir de la controverse historique amène l’élève à être confronté à des interprétations multiples d’un même événement. Cette confrontation a l’avantage de donner sens au travail de la pensée historique, puisque l’élève doit y recourir dans le but de s’interroger sur les interprétations proposées par les différentes écoles de pensée et parvenir à sa propre interprétation. D’autre part, l’interprétation historique de la Conquête a encore aujourd’hui un impact important sur la société québécoise, en particulier dans les débats sur l’indépendance. Par conséquent, l’étude de l’influence des interprétations de la Conquête sur les positions politiques modernes conduit les élèves à constater l’influence de l’histoire sur leur vie de tous les jours. Ce faisant, les élèves seront peut-être plus en mesure de comprendre les liens complexes existant entre le passé et le présent et le rôle de l’histoire dans l’interprétation de ce passé.
Les demandes territoriales des Premières Nations : un exemple d’une controverse type
La controverse entourant les demandes territoriales des Premières Nations est un exemple d’une controverse type. La controverse type, qui tire son nom de sa popularité dans les recherches sur le sujet, est comprise dans ce texte comme une controverse dont l’origine se situe dans le passé, mais dont l’enjeu s’inscrit dans le présent. En effet, les demandes entourant la création de l’Innu Assi ainsi que la demande du respect des droits ancestraux de chasse, de pêche et de cueillette ne peuvent être expliqués en détail sans avoir interrogé le passé au préalable. De plus, la position adoptée au regard de cette controverse dépend en grande partie de l’importance accordée au passé. La controverse type se compose donc d’une double controverse : une controverse historique qui est, dans le cadre de notre exemple, liée à l’interprétation des relations entre Européens et Autochtones dans le passé, et une controverse sur les actions à accomplir dans le futur. Contrairement aux controverses historiques qui n’ont pas toujours des liens clairs avec le présent, la controverse type peut avoir un plus grand impact sur les valeurs et les émotions et elle demeure par le fait même plus délicate à amener en classe. Par exemple, une controverse historique telle que l’emplacement de la Vinland viking est peu susceptible d’entraîner des débats de valeurs chez les élèves du secondaire. Au contraire, les demandes territoriales des Premières Nations peuvent susciter des discussions enflammées, particulièrement si la communauté de l’élève est directement touchée par les décisions découlant de la controverse.
Bien qu’elle soit plus délicate à traiter en classe, la controverse type a l’avantage de conscientiser les jeunes à la complexité des liens entre le passé et le présent. En effet, l’élève qui travaille sur les relations entre Européens et Autochtones à partir de la controverse sur les demandes territoriales devra, dans un premier temps, s’interroger sur les causes de cette controverse. Ce faisant, il n’aura d’autre choix que d’interpréter le passé pour comprendre le présent, ce qui l’aidera ainsi à comprendre les liens existant entre les différentes époques. De plus, l’étude de la controverse type permet également à l’élève de s’interroger sur l’influence du passé sur ses décisions dans le présent. Par exemple, l’importance qui sera accordée à l’interprétation des relations entre Autochtones et Européens dans le passé peut avoir une influence sur les décisions prises aujourd’hui. Par conséquent, l’élève pourra réfléchir sur les liens complexes entre l’interprétation d’une situation dans le passé et l’influence de cette interprétation sur une prise de position par rapport à un enjeu contemporain.
L’immigration au Canada : un exemple d’une controverse prospective
Notre dernier exemple traite des controverses prospectives, c’est-à-dire des controverses inscrites dans le présent et dont les enjeux se situent dans le futur. L’élément controversé de ces questions est lié aux conséquences de l’enjeu pour les sociétés du présent et du futur. Par exemple, les questions concernant l’immigration et les accommodements raisonnables sont des enjeux de sociétés contemporaines, mais dont l’élément controversé découle des conséquences futures des décisions prises aujourd’hui. Bien qu’elle soit essentiellement située dans le présent et axée sur l’avenir, la controverse prospective peut bénéficier d’un questionnement historique. En effet, l’étude de la controverse prospective à partir d’une perspective historique permet d’établir des parallèles entre les conséquences des décisions passées sur l’immigration et celles prises par la société d’aujourd’hui. L’étude de l’histoire de l’immigration au Canada permet ainsi de comprendre ce phénomène, puisque les élèves sont en mesure de comparer la situation du passé avec la situation du présent et de s’interroger sur les éléments semblables et différents constitutifs de cette question à travers les âges et les sociétés. L’enseignement de l’histoire favorise alors l’activité de l’élève, car celui-ci est confronté à une situation qui l’amènera à comprendre non seulement la pluralité des interprétations du passé, mais également l’impact du passé sur son présent ainsi que son futur.
En conclusion...
Nous avons pu constater que les trois types de controverses retrouvées dans la classe d’histoire sont, chacune à leur manière, une façon d’amener les élèves à comprendre le passé non pas comme un donné, mais comme un construit. De plus, les controverses types ou prospectives illustrent, par des situations concrètes, les liens entre les enjeux du présent et les événements du passé. L’enseignement de l’histoire par les controverses nous semble donc constituer un moyen intéressant pour aider les élèves à se dégager de leur pensée ancrée dans le présent et l’actuel et à prendre conscience de l’influence du passé sur leur vie quotidienne. Malheureusement, il n’est pas toujours simple d’intégrer des questions controversées dans la classe. De fait, l’enseignant d’expérience craindra peut-être les réactions des élèves, des parents ou même de la direction d’école. Par ailleurs, la nature délicate des questions controversées requiert une approche pédagogique particulière.
Comment intégrer ce type de question en classe, de maniere"Check accent here"? à ce qu’il y ait apprentissage de la discipline historique? Comment amener les élèves à travailler ces questions pour favoriser une prise de position basée non pas sur les ouï-dire ou sur les médias, mais sur le travail de la pensée critique? Il reste encore beaucoup de recherches à effectuer avant de pouvoir répondre à ces questions. Toutefois, les réaliser s’avère essentiel car, étant donné les nombreux avantages qu’offre l’enseignement de l’histoire par les controverses, l’enjeu en vaut la chandelle.
Catherine Duquette est candidate au doctorat en enseignement de l’histoire à l’Université Laval, au Québec. Dans le cadre de ses recherches, elle s’intéresse tout particulièrement à l’enseignement de la pensée et de la conscience historique, à l’enseignement des controverses et au rapport entre l’histoire et la culture.
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