Une amitié naufragée
RMS Titanic
par Beverley Tallon
Le RMS Titanic était un navire de grand luxe, surpassant tous les autres de son époque. On y trouvait une piscine, un gymnase, trois ascenseurs électriques en première classe et un en seconde. Les chambres ordinaires de première classe étaient décorées de panneaux faits de bois rares et coûteux, et même les chambres de troisième classe étaient agrémentées de panneaux de pin et de meubles de teck. Mais aussi, les créateurs de cet opulent palace se targuaient d’avoir construit un navire insubmersible.
Dès septembre 1910, la White Star Line publia une brochure sur le Titanic et sa « grande soeur », l’Olympic, où l’on pouvait lire la phrase suivante « dans la mesure où cela est techniquement possible, ces deux navires ont été conçus pour ne jamais couler ». Les articles dans les journaux, les agents de voyage et même Edward Smith, le capitaine du Titanic, contribuèrent à perpétuer ce mythe. Le grand navire quitta le port de Southampton, en Angleterre, le 10 avril 1912, avec 2 223 passagers à son bord et seulement vingt canots de sauvetage.
Trois hommes d’affaires canadiens participèrent à ce premier voyage du Titanic, soit John Hugo Ross, Thomson Beattie et Thomas Francis McCaffry. (Image below: John Ross Hugo, Unknown, McCaffry, Mark Fortune, et Thomson Beattie se nourrissent les pigeons de la place Saint-Marc, Venise, Mars 1912 - Encyclopédie Titanica).
John Hugo Ross est né dans le comté Glengarry, en Ontario, en 1875. Il déménagea avec sa famille à Winnipeg à l’âge de deux ans. Son père, Arthur Wellington Ross, un agent immobilier, réussit à obtenir un poste pour son fils adolescent au service du lieutenant gouverneur du Manitoba. Après un an, John Hugo Ross partit pour Toronto et lança son entreprise de courtage en exploitation minière. Il fait faillite en 1902 et prit le chemin du Klondike avec seulement 25 cents en poche. À la mort de son père, il hérita de la fortune familiale et retourna à Winnipeg pour prendre soin de sa mère. Il y fonda la Hugo Ross Realty Company Ltd. et la Winnipeg Real Estate Board. Il devint membre du Manitoba Club et y fit la connaissance du courtier Thomson Beattie, qui avait un bureau en face du sien, dans le Merchants Bank Building.
Né la même année que Ross, Thomson Beattie grandit dans la petite ville de Fergus, en Ontario; il était le plus jeune de onze enfants. À la mort de son père, en 1897, Thomson et son frère Charles partirent pour Winnipeg, avec leur héritage. Thomson Beattie lança avec succès une agence immobilière, la Haslam Land Company, avec son partenaire, Richard Waugh. Lorsque Waugh fut élu maire de Winnipeg en 1911, Thomson Beattie resta seul pour diriger l’entreprise. Thomas McCaffry et lui devinrent de grands amis et le Winnipeg Free Press les décrivait alors comme « les deux (presque) inséparables ».
Thomas Francis McCaffry avait 13 ans de plus de Beattie. Né en 1866 à Trois-Rivières, au Québec, il fut élevé à Montréal avec ses deux soeurs. Il entama sa carrière de banquier à la Three River’s Union Bank of Canada, devint commis à Montréal et fut ensuite promu directeur de la banque de Neepawa, au Manitoba. En 1897, il déménagea à Winnipeg pour diriger une succursale de la Union Bank. C’est là qu’il fit la connaissance de Thomson Beattie et les deux amis devinrent de grands compagnons de voyage.
Même si McCaffry déménagea à Vancouver, les trois amis ne perdirent pas le contact et organisèrent de grandes vacances au début de 1912, prévoyant se rendre au Moyen Orient et en Europe. Cependant, en mars, Beattie et McCaffry durent s’avouer épuisés par ce voyage et Ross, de son côté, avait contracté la dysenterie.
Ils décidèrent de couper court au voyage et Beattie écrivit à sa mère : « Nous changeons de navire et revenons à la maison à bord d’un nouveau bateau que l’on dit insubmersible. » Le trio réserva une chambre en première classe à bord du Titanic, et s’embarqua à Cherbourg, en France, le 10 avril. Beattie et McCaffry partagèrent une chambre, et payèrent plus de 75 £ pour ces luxueux quartiers.
Cependant, une fin tragique les attendait, et à cela, leur fortune n’y pouvait rien. Même si Beattie réussit à prendre place à bord du dernier canot de sauvetage, son corps ne fut retrouvé qu’un mois plus tard, lorsque l’Oceanic retrouva la petite embarcation flottant à la dérive. Dans un article macabre paru dans le St. Paul Daily du 17 mai 1912 on pouvait lire ce qui suit : « Des marques de dents sur le liège et le canot laissent imaginer le pire. Trois corps ont été découverts. Deux de ceux ci étaient attachés aux bancs par des chaînes. Le corps d’un passager a été identifié grâce à ses vêtements. Il s’agit de M. Thomson Beattie. Les deux autres étaient des membres d’équipage. » Les restes de Beattie furent remis à la mer le jour de la fête de sa mère, presque au même endroit où elle-même avait vu le jour, sur un navire en route pour le Canada, 82 ans plus tôt.
Même si on a cru que McCaffry et Beattie se trouvaient sur le toit, McCaffry ne réussit pas à rejoindre le canot. Son corps fut retrouvé plus tard et ramené à Montréal, où il est enterré au cimetière Notre-Dame-des Neiges –– une grande pierre tombale de granite, payée par la banque, marque l’endroit.
Leur ami John Hugo Ross refusait de prendre le désastre au sérieux et affirma « C’est tout? Il faudra plus qu’un iceberg pour me sortir de ce navire. » Son corps ne fut jamais retrouvé, mais on croit qu’il serait mort noyé dans son lit. Hugo Street, à Winnipeg, a été ainsi nommée en son honneur.