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Le Pays revêche: Société, espace et environnement au Canda avant la Confédération

Appuyer Histoire Canada d’une autre façon (plus)

par Richard Colebrook Harris

Québec/Sainte-Foy, Presses de l'Université Laval (PUL), 2012, coll. « Géographie historique », XXVI. 459 p.

Le Pays revêche. Titre peu aguichant au premier abord, mais qui prend tout son sens littéral et qui nous apparaît comme logique une fois le livre refermé. Les âpres discussions entre l’auteur et le traducteur n’ont pas été stériles. Parlons-en des auteurs. Cole Harris se pose comme l’une des sinon la référence(s) actuelle(s) en ce qui concerne la géographie historique du Canada. Diplômé de l’University of British Columbia et de l’University of Winconsin-Madison, puis professeur à l’University of Toronto avant de retourner enseigner à UBC, il est aussi Compagnon de la Société royale du Canada, Officier de l’Ordre du Canada et détenteur d’une Médaille d’Or et la Médaille Massey décernées par la Société géographique royale du Canada. La majorité de ses recherches géohistoriques ont porté sur le Canada en tant qu’espace à différentes époques. Il est notamment l’auteur de The Seigneurial System in Early Canada: A Geographical Study (1966), de Canada Before Confederation: A Study in Historical Geography (1974) qui peut être vu comme le premier jet de l’ouvrage présentement étudié, participe au premier volume de l’Atlas historique du Canada : des débuts à 1800 (1987), écrit The Resettlement of British Columbia: Essays on Colonialism and Geographical Change (1997) et Making Native Space: Colonialism, Resistance and Reserves in British Columbia (2003), pour finalement en arriver à ce qui peut être considéré comme la synthèse de son œuvre, The Reluctand Land: Society, Space and Environment in Canada before Confederation (2008), traduit en français en 2012 sous le nom de Le Pays revêche : Société, espace et environnement au Canada avant la Confédération dont nous rendons compte ici. Le traducteur et éditeur reconnu Laurier Saint-Yves a effectué un véritable travail de reconstruction du livre en compagnie de Cole Harris, rendant même l’ouvrage plus abordable et plus digeste en français qu’en anglais, de l’aveu même de l’auteur lors du lancement officiel ! Quant aux cartes, elles sont signées Eric Leinberger, cartographe et graphiste au Department of Geography à l’University of British Columbia. Les Presses de l’Université Laval ont effectué avec ce livre le plus gros tirage et probablement leur publication la plus reconnue (en tout cas la plus attendue) de l’année 2012, sur une mise en page agréable, aérée et très belle d’Émilie Lapierre-Pintal et la collaboration du Centre interuniversitaire d’Études québécoises.

L’objectif de l’auteur est à la fois simple et terriblement complexe. L’ouvrage se veut une synthèse abordable de la géographie historique du Canada avant 1867. Comprendre par là étudier l’histoire du Canada prise sous un angle géographique. À savoir que l’ouvrage s’intéresse à la perspective des différents peuples occupant les différents espaces qui composent ce gigantesque patchwork climatique, géographique, démographique, historique, culturel et économique qu’est le territoire de l’actuelle Confédération du Canada. Car c’est bien là tout le problème d’une telle synthèse, il n’y a pas un mais des Canada(s), chaque espace a ses caractéristiques bien propres et pourtant ils ont tous été réunis en un seul pays qui essaie de se bâtir une identité commune sur et malgré ses différences. Cet ouvrage se veut donc un élément de réponse à la question (on pourrait même presque dire l’enjeu) historique, géographique et politique de l’identité canadienne. Comme nous l’avons déjà dit, ce livre est la synthèse de la vie de recherches menées par Cole Harris sur la géographie historique du Canada, sommet de son œuvre scientifique, actualisation et lien de tous ses précédents travaux, enrichi des autres synthèses sorties antérieurement (citons notamment The Shaping of America: A Geographical Perspective of 500 Years of History de Donald Meining). Chaque chapitre se voit complété par une vaste bibliographie qui ne peut que laisser songeur quant au temps nécessaire à la conception d’un seul chapitre tant sont nombreuses les conceptions croisées sur chaque thème, tout ça dans le souci d’avoir le regard le plus complet et le plus objectif qui soit.

L’auteur expose donc trois cents ans d’histoire du Canada sous une perspective à la fois thématique, géographique et chronologique, et ce en douze chapitres.

Le premier, « Vers 1500 », sort de l’ordinaire des manuels et synthèses d’histoire canadienne en s’intéressant aux Autochtones et au rapport de leur culture avec l’espace qui les entoure, espace non cartographié mais maîtrisé parfaitement, territoire symbolique et nourricier. Il met en relief le rapport direct entre les différentes cultures et les zones climatiques, la végétation, la physiographie et les sources de nourriture. Il y est aussi question de peuplement et de démographie, forte sur les côtes et faible à l’intérieure, et d’un chiffre approximatif de 500.000 Autochtones vivant dans le nord de l’Amérique septentrionale avant le Contact.

Les trois chapitres suivants portent sur le Régime français. « L’Atlantique du Nord-Ouest, 1492-1632 » fait le résumé des premières explorations des côtes canadiennes, de Terre-Neuve, des premières cartes dressées par les premiers navigateurs mandatés pour l’exploration, des premières colonies, des premiers contacts, de la fondation des premiers comptoirs, des premières rivalités européennes pour les revendications, de ce premier choc entre conception européenne et conception autochtone de l’espace. « L’Acadie et le Canada » raconte la formation de la colonie solide de la Nouvelle-France, l’établissement et la maîtrise progressive du territoire par les seigneuries et des ressources par la pêche et la traite des fourrures. La traite à elle seule peut se cartographier, se représenter dans l’espace, se contrôler par les rivières, les forts et les lieux stratégiques tout en modifiant profondément les territoires autochtones. L’installation des colons dans un environnement nouveau est aussi passée au crible. Depuis le déboisement long des grandes forêts canadiennes aux difficultés de subsistance tant des petites fermes que de la colonie, en passant par la rudesse du climat, l’auteur nous brosse un portrait qui a lui seul justifie le mot « revêche » dans le titre. Il y est aussi question, bien sûr, des conflits coloniaux, des conceptions territoriales rivales des métropoles européennes, des guerres qui en découlent et rapidement de la chute du Régime français, qui n’a finalement que peu d’importance sur le plan de la géographie historique. « L’intérieur du continent, 1632-1750 » s’intéresse à la traite, aux réseaux commerciaux des Autochtones, à tout cet espace intérieur que découvrent et apprivoisent sans le peupler encore les colons européens, l’image qu’ils en ont et les projets que cela fait naître.

Les trois cents pages suivantes traitent de la construction du Canada et de son cheminement vers la confédération. « La création de l’Amérique du Nord britannique » resitue dans son contexte historique et géographique les changements induits par le passage du Régime français au Régime britannique, finalement assez peu nombreux sur le terrain, mais plus effectifs sur le plan de la conception de l’espace et des projets pour la maîtrise du territoire nord-américain. Les chapitres suivants prennent les espaces les uns après les autres pour en étudier les mutations historiques, toujours à travers un angle géographique. « Terre-Neuve », « Les Maritimes », « Le Bas-Canada », « Le Haut-Canada », « le Nord-Ouest de l’intérieur » et « La Colombie britannique ». Les pêcheries, l’agriculture, l’industrialisation, la colonisation progressive ou brutale, les populations, leurs difficultés à apprivoiser ces pays et ce climat, leur vécu par rapport à leur territoire, leur village, leur ville, leur quartier, l’urbanisation, la gestion de l’espace dans ces modèles en constante mutation au cours du XIXe siècle. Tout cela pour mener finalement à une unification de ces espaces si différents au sein de la Confédération en 1867. « La Confédération et la naissance du Canada » se veut comme un chapitre conclusif qui répond à la fameuse question des identités, des différences spatiales, culturelles et historiques évoquée plus haut et qui était l’objectif de l’auteur et de sa synthèse.

Un livre accessible au plus grand nombre, à tous les passionnés d’histoire et de géographie canadienne qu’ils soient universitaires ou non, une synthèse de toutes les connaissances géohistoriques sur le sujet à l’heure actuelle, un élément de réponse à la question de l’identité canadienne, voilà donc ce qu’est Le Pays revêche. De revêche, il n’y a que le pays. L’ouvrage est lui un manuel plaisant par son style et indispensable par son propos.

— Rémi Bouguet (Lire la biographie)

Rémi Bouguet est étudiant à la Maîtrise en Histoire à l'Université Laval.

 

 






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