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Mary Rose-Anna Travers Bolduc « La Bolduc » 


Bienvenue à Des Histoires Qui Résonnent. Dans cette émission, nous joignons Jean-Phillipe Proulx de la Société Histoire Canada en discussion avec Rachelle Chiasson-Taylor de Bibliothèque et Archives Canada. Ils examinent deux anciens enregistrements canadiens: Un Canadien errant et Ça ca venir découragez-vous pas. 



Jean-Philippe : Avant de parler de la chanson Ça va venir, découragez-vous pas, il serait intéressant d’abord de tracer le portrait de celle qui était connue et aimée sous le nom de « La Bolduc ».

Rachelle : L'histoire de Mary Travers Bolduc est celle du conte de fées prototypique dans le genre « rêve américain. » Elle est passée de l’état d’une toute simple ménagère québécoise, inconnue et désespérément pauvre, à celui de phénomène de l'industrie du disque des années 1930. Elle est devenue l'extraordinaire porte-parole musicale de son temps et de ses contemporains, se méritant le titre de « Reine des chanteurs folkloriques canadiens ». Née d'un père irlandais anglophone et d'une mère francophone, Mary Travers grandit dans une famille pauvre et nombreuse de la Gaspésie. Elle apprend de son père quelques rudiments du violon en plus de s'initier à l'harmonica et à la guimbarde. Elle se rend à Montréal pour travailler dans une usine et en juillet 1914, elle épouse Edouard Bolduc, un plombier. Terrassée par la misère, la famille Bolduc va migrer vers la Nouvelle-Angleterre en quête de moyens de survie, mais sans beaucoup de succès. De retour à Montréal, Édouard Bolduc trouve un travail régulier qu’il doit éventuellement abandonner pour des raisons de santé, en 1927. Mais voilà que Mary commence à participer à des soirées folkloriques où son talent est vite remarqué. Elle est prise en charge par des personnes influentes du milieu, dont Ovila Légaré, Conrad Gauthier et Roméo Beaudry de la Starr Phonograph Company. Elle commence à faire des disques qui se vendent rapidement. Dès 1929 ils se vendent à plus de dix milles exemplaires, en pleine crise économique. Humour, optimisme, énergie, tout cela agrémenté de son « turlutage » qui devient sa marque de commerce, voilà la recette de son succès auprès d'une population qui a bien besoin qu'on lui remonte le moral! Et ce public n’a jamais oublié sa générosité, même aujourd’hui.

La Bolduc était de ces personnes qui n’abandonnent jamais. Je crois que c’est la chose qui la caractérise le plus sur le plan personnel. Sa force de caractère, son talent musical et son désir de rayonner, d’aider les autres ont fait qu’elle a surmonté des obstacles de très grande taille devant lesquels d’autres auraient vite rebroussé chemin.

Jean-Philippe : Parlez-nous, alors, de cette chanson Ça va venir, découragez-vous pas et oè elle se situe dans la démarche de la Bolduc.

Rachelle : Il faut absolument savoir que cette chanson a pour contexte la grande crise économique, la Dépression qui a frappé plusieurs sociétés occidentales, dont celle du Québec, durant les années 1930. Ça va venir, découragez-vous pas fait partie, en fait, des chroniques chantées par la Bolduc de l'actualité au Québec, car l’inspiration pour toutes ses chansons viennent de faits vécus par les gens ordinaires. La chanson a aussi le mérite de véhiculer un message tout simple : devant l'effondrement de l'économie canadienne, il faut garder espoir et courage, dit-elle, très simplement. Enregistrée en 1930, la chanson fait allusion au nouveau gouvernement élu de R.B. Bennett.

En termes de démarche, Mary Bolduc fait naturellement ce qu’elle a toujours fait dans sa famille, ou l’on jouait du violon, de l’harmonica, du piano, de la guimbarde, mais de façon à captiver un auditoire beaucoup plus large. Élevée dans une culture musicale oû les ballades sont l'expression spontanée des émotions des gens ordinaires, elle se tourne dès lors vers l'actualité comme source d'inspiration et devient rapidement la porte-parole des hommes et des femmes de la classe ouvrière du Québec et du Canada français. Cette chanson, comme toutes les chansons de La Bolduc, donne aux auditeurs d’aujourd’hui un accès direct à ce que les gens de la classe ouvrière québécoise des années 1930 vivaient, pensaient, aimaient.

Jean-Philippe : Parlez-nous de l’enregistrement comme tel.

Rachelle : La date d’enregistrement de Ça va venir, découragez-vous pas est le 23 septembre 1930 sous étiquette Starr New Process, distribué par Canada Sales Limited. Il s’agit d’un 78 tours de dimension 10 pouces sur lequel on peut lire « Chanson comique avec piano, Mde Ed. Bolduc. »

La chanson elle-même est construite très simplement : un refrain sur les mots « Ça va v'nir puis ça va v’nir /Ah! Mais décourageons-nous pas/Moi j’ai toujours le coeur gai et j’continue à turluter! », suivi d’une turlutte. Quant aux couplets, on y raconte l’arrivée au pouvoir du nouveau gouvernement fédéral, la faim qui guette tous les ouvriers sans travail, des trous dans les souliers, les propriétaires et locataires d’immeubles sans le sou, le manque de charbon, l’électricité et l’eau coupées, bref, toutes les tracasseries que pouvait vivre la classe ouvrière durant la Grande Dépression, mais on revient toujours au courage, à la solidarité et au fait qu’on est encore mieux au Québec qu’ailleurs. En passant, la turlutte est une forme de chant populaire utilisé pour ornementer ou développer une mélodie et dont La Bolduc avait le secret. On pourrait aussi citer Gilles Vigneault avec sa turlutte Tamdidelam, qui sert également de titre à l’une de ses célèbres chansons.

Jean-Philippe : Quelle a été l’influence de La Bolduc ?

Rachelle : Mary Bolduc est une incontournable de la chanson québécoise, pour commencer. Plusieurs historiens de la musique considèrent que Félix Leclerc est le premier chansonnier au Québec, mais d’autres croient que c’est plutôt La Bolduc qui en est la vraie pionnière. C’est une question de perspective. Ce qui est certain, cependant, c’est qu’au Québec, La Bolduc, cette Gaspésienne pure laine, aura été la première chanteuse populaire à faire carrière avec son langage familier, son commentaire social et politique, ses descriptions humoristiques d’une panoplie d’événements de la vie de tous les jours et des gens ordinaires. Elle a ouvert la voie aux auteurs-compositeurs-interprètes de la génération subséquente et notamment aux femmes dont elle dépeignait l’autorité dans ses chansons. Gilles Vigneault, Clémence Desrochers, Pauline Julien et tant d’autres lui doivent beaucoup. On pourrait dire que Mary Bolduc a tracé le premier chemin aux chansonniers et chansonnières de la francophonie canadienne pour qu’ils et elles développent leur art.

[Musique : Ça va venir découragez-vous pas, Mde. Bolduc (1894-1941), chanson comique avec piano (23 September 1930), Compo Company Limited].

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Eva Gauthier

Jean-Philippe : Voici un exemple d’une chanson folklorique interpréétée par une cantatrice canadienne reconnue internationalement à son époque pour ses prestations novatrices, majoritairement du répertoire classique moderne. Quel était donc le but d’Eva Gauthier, grande cantatrice classique, de tremper ainsi dans le folklore ?

Rachelle : D’abord il convient de présenter cette immense figure de la scène musicale internationale qu’était la mezzo-soprano Eva Gauthier, née à Ottawa en 1895 et dont la carrière musicale fulgurante l’a menée aux quatre coins du monde. On la surnommait « grande prêtresse de la musique moderne ». Or, on entend, par « musique moderne » celle, contemporaine, des Ravel, Debussy, Satie, Gershwin et Stravinski de ce monde.

Mais pour répondre plus précisément à votre question : il faut aussi savoir que cette artiste adulée, amie et première interprète de grands compositeurs européens, vivait au rythme du modernisme de la période des années 1920, modernisme qui s’intéressait profondément au jazz et aux sources d’inspiration que procuraient les musiques folkloriques. Gauthier, femme libre, émancipée, trouvait important de mettre des musiques de tradition orale au programme de ses concerts dits « classiques ». C’était quand même un choix artistique novateur, voire même aventureux. Mais Gauthier faisait toujours à sa tête, comme elle l’entendait.

Jean-Philippe : Parlez-nous, alors, de cette chanson et de l’enregistrement que Gauthier en a fait.

Rachelle : Un Canadien errant fut écrit en 1842 par Antoine Gérin-Lajoie après les événements de la Rébellion du Bas-Canada de 1837-1838. On sait que des rebelles ont été condamnés à la peine de mort alors que d’autres ont été déportés aux États-Unis et en Australie. Cette chanson porte sur l’exil de ces patriotes rebelles et elle est devenue à maints égards un hymne pour tous les Canadien qui ont vécu l’exil, comme par exemple les Acadiens dont la déportation commence quelque 18 ans plus tard. On se demande, en effet, si le choix de cette chanson en particulier ne reflète pas les sentiments d’Éva Gauthier, parcourant le monde au service de son art, une « errante musicale » si l’on veut.

Jean-Philippe : Parlez-nous de l’enregistrement comme tel.

Rachelle : La date d’enregistrement de Un Canadien errant est le 21 février 1917, soit dans les dernières années de la première grande guerre. Cet enregistrement, un 78 tour gravé sur disque de 10 pouces et qui se vendait pour 90 cents à l’époque, coïncide avec les débuts newyorkais de Gauthier. Mais en revanche, la carrière de concertiste d’Éva Gauthier devint si occupée que celle-ci ne pouvait pas se permettre de faire des pauses pour graver des disques. C’est pourquoi il ne nous reste que quelques enregistrements, dont celui-ci de chansons folkloriques canadiennes françaises.

Bref, Un Canadien errant fut enregistré à Camden au New Jersey, par la Victor Talking Machine Company, mis en marché et distribué aussi par la compagnie Victor. Ici, Gauthier est accompagnée d’un quatuor d’hommes, genre d’ensemble qui faisait rage dans ces années-là, précurseur des fameux quatuors « barbershop » des années 30. La chanson est arrangée pour cette formation vocale par Amédée Tremblay, un compositeur et organiste d’Ottawa qui fit une brillante carrière en Europe et aux États-Unis, à l’instar d’Éva Gauthier. Tremblay est l’auteur de la collection d’arrangements de folklore canadien, Dix-huit chansons populaires du Canada, publiée en 1906. On peut facilement en déduire qu’Éva Gauthier et Amédée Tremblay, tous deux des musiciens originaires d’Ottawa, devaient se connaître et peut-être, s’encourager.

Jean-Philippe : Pouvez-vous nous donner un aperçu, une appréciation de cette interprétation d’Un Canadien errant par Éva Gauthier et le quatuor d’Amédée
Tremblay ?

Rachelle : La première chose qui frappe et impressionne est la puissance vocale d’Éva Gauthier. Elle n’était pas du tout grande ni forte physiquement, vous savez, c’était une femme presque minuscule, alors on est impressionné par cette ample voix de mezzo-soprano, riche, sans trop de vibrato, directe et surtout puissante. Ensuite, c’est la prononciation française, sans doute apprise « à la française » en classe de diction qui retient l’attention de l’auditeur. Le rythme est assez lent, ce qui laisse toute la place pour admirer le souffle et le phrasé de l’ensemble, et qui semble donner plus de « pathétique » aux paroles qui traduisent les difficultés d’une personne en exil, « banni de ses foyers, qui parcoure en pleurant des pays étrangers. » Chaque note de la chanson est scandée par Gauthier alors que le quatuor d’hommes donne de la fluidité au mouvement de valse qui l’habite. Du coup, l’auditeur a la très vive impression d’une personnalité très dominante, ce qu’elle était assurément.

Jean-Philippe : Parlez-nous davantage, justement, de cette personnalité.

Rachelle : Éva Gauthier a eu un parcours fascinant. Enfant, elle suit des cours de chant et de piano. À l’époque, les musiciens nord-américains allaient en Europe pour parfaire leur formation : il s’agissait là d’un passage obligé si l’on voulait faire une carrière professionnelle respectable. Ainsi, en juillet 1902, à l'âge de dix-sept ans, Éva Gauthier part pour l'Europe, subventionnée par deux personnes illustres : sa tante, Zoé Lafontaine, et son oncle, le premier ministre du Canada, Wilfrid Laurier.

Éva Gauthier se rend d’abord en France, où elle suit des leçons de chant au Conservatoire de Paris. Dès lors elle accompagne la grande Emma Albani en tournée, fait ses débuts à l’opéra et rencontre son mari, un homme d’affaires qui vit à Java. Elle s’intéresse à la musique javanaise et voyage beaucoup, en Chine, au Japon, à Singapour, en Malaisie, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Avec le déclenchement de la Première Guerre mondiale, elle décide de revenir en Amérique du Nord, et débarque à New York à l'automne 1915. Elle repartira pour l’Europe en 1920.

Éva Gauthier se lie professionnellement et personnellement avec plusieurs grands compositeurs et on lui doit aussi d’avoir présenté au public la musique de George Gershwin. Elle se voit offrir de créer une grande quantité d’œuvres contemporaines, à tel point que le critique musical Walker Kramer dira d’Éva Gauthier : « Tous les compositeurs de notre époque ont envers elle une dette de reconnaissance pour l’intérêt qu’elle a porté à la musique vocale contemporaine ».

[Musique : Un Canadien errant, musique et paroles de Amédée Tremblay (1876-1949), interprétée par Eva Gauthier, mezzo-sopprano (1885-1958) avec un quartet de chant masculin.]


 

Posté : 2016-12-06 15:38:31 par ALISON NAGY | avec 0 comments
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Jean-Philippe : Pourriez-vous nous donner un peu de contexte sur cet opéra et Aria?

Joseph : L’Africaine était le dernier opéra composé par le compositeur allemand Giacomo Meyerbeer. « O Paradis » est l’une des arias les plus connues et les plus célébrées de l’opéra l’Africaine et a été enregistrée et jouée de nombreuses fois comme pièce à part entière. En effet, l’opéra L’Africaine dure près de six heures et est très coûteux à produire et à jouer. Il y a eu quatre productions de cet opéra montées mondialement depuis 2009. L’Africaine appartient à la tradition française du grand opéra, qui est un genre de l’opéra du 19e siècle, et qui comprend quatre ou cinq actes. Le grand opéra est caractérisé par ses vastes distributions et grands orchestres, et des effets des scène sompteux et spectaculaires, avec des intrigues basées sur des événements historiques ou dramatiques. L’Africaine suit ce même schéma, puisqu’elle est une histoire fictive basée sur la vie d’un personnage historique réel, Vasca da Gama. Vasca da Gama était un grand navigateur portugais, traditionnellement considéré comme le premier Européen à arriver aux Indes par voie maritime en contournant le cap de Bonne-Espérance, en 1498.

Jean-Philippe : Est-ce que l’intrigue de l'Africaine est semblable à celle d'autres opéras bien connus?

Joseph : L’intrigue de cet opéra est assez dramatique et comporte quelques similitudes avec l’opéra célèbre et connu Aida, de Verdi. Sans donner trop de détails, je peux toutefois vous donner un avant-goût de son drame. Le titre l’Africaine renvoie au personnage de Selika, qui apparaît comme une esclave en Europe, mais dans les faits, il s’agit de la reine d’une belle île lointaine en Afrique. Dans l’opéra, il y a un amour non partagé, un meurtre, une intrigue politique, et enfin, un suicide. L’aria « O Paradis » entendue au quatrième acte de l’opéra est chantée par le personnage de Vasca da Gama lui-même. Avant son sacrifice rituel, il chante les merveilles et la beauté de l’île de la reine Selika.

Jean-Philippe : Fascinant-maintenant nous allons écouter un enregistrement de Raoul Jobin dans le rôle de Vasca da Gama, avec l’orchestre de Metropolitan Opera et son chef Wilfred Pelletier

[Musique : Ô Paradis, aria de l'opéra l'Africaine par Giacomo Meyerbeer, interprétée par Raoul Jobin (ténor), avec le Metropolitan Opera Orchestra.]

Jean-Philippe : Par curiosité, ce qui arrive après l'aria?

Joseph : Oh, Vasca da Gama revient en Europe avec son amante portugaise, Ines, et Selika, écrasée par son amour non partagé pour Gama se suicide. Glorieux, tragique et dramatique!

Jean-Philippe : Pourriez-vous nous en dire un peu plus sur les artistes que l’on entend sur l'enregistrement?

Joseph : Oui, je pense que beaucoup de gens ont reconnu les noms de Raoul Jobin et Wilfrid Pelletier, que nous avons déjà mentionnés. Il s’agit de deux des plus célèbres musiciens classiques québécois du 20e siècle. Les deux ont été faits compagnons de l’Ordre du Canada en guise de reconnaissance pour leur excellence et leur contribution à la culture canadienne. Ils ont également été reconnus comme spécialistes du répertoire de l’opéra français. Jobin a également été fait chevalier de la Légion d’honneur, par la France.

Jean-Philippe : Commençons par Jobin. Parlez-nous un peu de sa carrière et de sa réputation.

Joseph : Raoul Jobin, de son vrai nom Joseph Roméo Jobin, est un ténor québécois. Il est un des plus grands ténors francophones du 20e siècle. Il a connu une grande carrière d’interprète et d’enseignant. Voici quelques-uns des faits saillants de sa carrière : il poursuit des études en chant à l’Université Laval de Québec, puis à Paris. Dans les années 1930, il est le premier ténor de l’Opéra-Comique de Paris. En 1940, il commence sa carrière américaine au Metropolitan Opera de New York. Il devient également un invité régulier des Variétés lyriques de Montréal.

Il est nommé professeur de chant au Conservatoire de musique de Montréal, puis directeur du Conservatoire de musique de Québec de 1961 à 1970.

Certaines des qualités qui ont contribué à la réussite et à la réputation de Jobin, et qui en ont fait une star en France et en Amérique du Nord, apparaissent évidentes dans l’enregistrement de « O Paradis » que nous venons d’entendre.

Partout, sa maîtrise du style français, l’éclat de ses aigus et la chaleur de son timbre lui valent un accueil enthousiaste et des critiques élogieuses. Voici ce qu’en dit le critique français Jean Goury : « Raoul Jobin est assurément l'un des plus prestigieux ténors d'expression française des dernières décades. Sa voix, au timbre personnalisé — ni italianisant ni nordique mais imprégnée des chaudes senteurs du terroir canadien — est capable de produire de surprenantes variations de dynamique... Raoul Jobin est un chanteur de grande école, ne sacrifiant jamais le pathétisme à la musicalité, conservant en toute circonstance, une sobriété du meilleur aloi. »

Jean-Philippe : Vous avez dit que Wilfrid Pelletier, le chef d'orchestre de cet enregistrement, était également un spécialiste du répertoire français?

Joseph : Oui, souvenons-nous que Pelletier était chef d'orchestre pour le répertoire français au Metropolitan Opera de New York. Il convient de souligner sa carrière brillante : avant sa nomination comme premier directeur artistique des Concerts de Montréal, rebaptisé l'Orchestre symphonique de Montréal, Wilfrid Pelletier était associé au Metropolitan Opera de New York depuis 1917. Il s’est bâti une réputation mondiale en tant que chef des présentations du dimanche soir, appelées Concerts du Met. Au cours d’une carrière de près de soixante ans, Pelletier a dirigé, entre autres, des orchestres à Chicago, Cincinnati, Detroit, San Francisco, Los Angeles, Montréal, Québec, des orchestres du Mexique.

C’est au Canada que Pelletier a exercé une influence profonde et durable sur la scène canadienne de la musique classique. Il a joué un rôle majeur dans le développement de la vie musicale du Québec, en particulier dans le domaine du théâtre lyrique (opéra) et avec les jeunes. Parmi ses nombreuses réalisations canadiennes, on note la création des Matinées symphoniques pour la jeunesse (1935), des Festivals de Montréal (1936) et du Conservatoire de musique de Québec, dont il est le directeur fondateur. Il est aussi le premier directeur artistique de l'orchestre de la Société des concerts symphoniques de Montréal (1935-1940), le directeur artistique de l'Orchestre symphonique de Québec (1951-1966), le directeur de l'enseignement musical pour le ministère des Affaires culturelles du Québec (1961-1967), un des fondateurs de la Société de musique contemporaine du Québec (1966) et le président national des Jeunesses musicales du Canada (1967‐1969). Une salle de la Place des Arts à Montréal est nommée en son honneur — la salle Wilfrid-Pelletier.


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Jean-Philippe : Voici un exemple d’une chanson folklorique très connue au Québec. Parlez-nous de la popularité et de l’importance de la chanson Vive la Canadienne.

Joseph : Afin d’expliquer l’importance de cette chanson, j’évoquerai un article du journal Ottawa Citizen d’il y a 8 huit ans où l’auteur s’interrogeait sur les différentes options choix d’hymne national du Canada. Je le cite : « Si nous devions remplacer l'hymne national du Canada, les options les plus pertinentes, par ordre d’ancienneté, seraient sans doute les deux chansons qui ont servi officieusement nos fins patriotiques avant que le Ô Canada ne devienne populaire. » L’écrivain suggère qu’historiquement, deux chansons ont été adoptées par les deux communautés linguistiques canadiennes comme hymne national. Pour les anglophones, la chanson était « The Maple Leaf Forever » et pour les francophones, « Vive la Canadienne ».

Vive la Canadienne n’est pas un hymne national dans le sens traditionnel, mais elle a ét^é la chanson nationale la plus fréquemment chantée au Québec avant que l’hymne national ne devienne populaire. Vive la Canadienne est une chanson folklorique où le chanteur exprime son amour pour sa blonde, sa Canadienne, qu’il aime et qu’il veut marier. La mélodie possède un air exubérant et la répétition des vers (« Et ses jolis yeux doux, doux, doux »; « Elle sait faire tout doux, doux, doux ») donne l’impression d’un jeu d’enfant ou d’une danse folklorique. Le refrain (« Vive la Canadienne / Vole, mon cœur, vole! ») est contagieux et joyeux.

Jean-Philippe : Est-ce qu’on sait qui a écrit la mélodie et les paroles de Vive la Canadienne?

Joseph : Selon Ernest Gagnon, dans Chansons populaires du Canada (Québec 1865), cette vieille mélodie serait inspirée de Par derrièr' chez mon père. Le musicologue Marius Barbeau croit plutôt qu'elle dérive de Vole mon coeur vole qui diffère un peu de la précédente. F.-A.-H. LaRue, qui publia les paroles de Par derrièr' chez mon père dans Le Foyer canadien, vol. I (Québec 1863), en présente aussi une variante française, Les trois princesses. Les paroles de Vive la Canadienne auraient pour auteur un canotier. C'est du moins ce que révèle Barbeau dans son ouvrage Alouette (Montréal 1946) sans toutefois apporter plus de précisions.

Jean-Philippe : Il y a plusieurs exemples dans l’histoire de la musique où des compositeurs bien connus comme Maurice Ravel, Ralph Vaughan Williams et Bela Bartok ont adapté des mélodies, chansons et musiques folkloriques pour leurs compositions. Est-ce que Vive la Canadienne a également inspiré des compositeurs canadiens et américains?

Joseph ; Oui, en effet. Charles Grobe, compositeur allemand‐américain, s'inspira de cette chanson dans ses Variations brillantes sur Vive la Canadienne, mélodie nationale canadienne, pour piano. La Canadienne, fantaisie pour violon et piano de Jules Hone, est basée sur cette chanson. Oscar Martel a composé pour violon Variations sur « Vive la Canadienne ». Cet air figure également dans la suite pour piano Quadrille sur cinq airs canadiens d’Antoine Dessane (1854, Léger Brousseau, Crémazie 1855). Vers 1939, un arrangement de Charles O’Neill devient la marche officielle du Royal 22e régiment.

Jean-Philippe : Alors, écoutons-nous un enregistrement de Vive la Canadienne interprété par le Quatuor Alouette.

[Musique : Vive la canadienne par Amédée Tremblay, interprétée par le Quatuor Alouette.]

Jean-Philippe : C’était charmant. Parlez-nous du Quatuor Alouette et de son histoire.

Jopseph : Le Quatuor Alouette a été un ensemble vocal masculin a cappella actif entre les années 1930 et 1960. Il était constitué de Roger Filiatrault, baryton, de Jules Jacob, ténor, d'Émile Lamarre, basse et d'André Trottier, basse. Le répertoire était exclusivement consacré à la chanson folklorique canadienne-française.

En 1930, Oscar O’Brien demande à André Trottier et à Roger Filiatrault de préparer quelques pièces folkloriques pour poursuivre l'œuvre du folkloriste Charles Marchand, décédé quelques mois plus tôt. Au début de 1931, Jules Jacob et Émile Lamarre viennent compléter le Quatuor Alouette et Oscar O'Brien en prend la direction musicale. Oscar O’Brien a été lui-même un folkloriste canadien, un compositeur, un pianiste, un organiste, un professeur de musique et un prêtre catholique. Le Quatuor Alouette choisit comme nom le titre de la chanson la plus populaire du folklore canadien-français.

Le Quatuor donna son premier concert à Montréal le 29 mai 1932. Le succès est immédiat et l'ensemble est bientôt appelé à remplir de nombreux engagements au Canada et à l'étranger. En 1936, le Quatuor Alouette anime sa propre série de 26 émissions à la radio de la SRC. Pendant plus de 30 ans, l'ensemble vocal se produit de façon régulière à diverses émissions, dont « Le réveil rural » (SRC, 1937-1967), « Les amours de Ti‐Jos » (CKAC, 1938-1945, CKVL, 1945-1947) et « Le quart d'heure de la Bonne Chanson » (SRC, CKAC, 1939-1952). Le Quatuor Alouette met fin à ses activités au milieu des années 1960.

Jean-Philippe : Parlez-nous davantage de son répertoire.

Joseph : Le répertoire comprenait des centaines de chansons folkloriques françaises et canadiennes, dont un certain nombre provenaient du répertoire de Charles Marchand et des Troubadours de Bytown. Les harmonisations ou arrangements étaient signés Roger Filiatrault, Pierre Gautier, Oscar O’Brien, Geoffrey O’Hara, Amédée Tremblay, et d’autres. Tremblay, compositeur et organiste, a été l’arrangeur sur l’enregistrement que nous venons d’écouter.

Jean-Philippe : Parlez-nous davantage de la réputation de ce quatuor parmi des musiciens et musiciennes de cette époque.

Joseph : L'interprétation était remarquable par son homogénéité vocale, trouvant un juste équilibre entre l'expression authentique du terroir et la chanson artistique. L'ensemble a suscité l'admiration de musiciens tels que Marius Barbeau, Arturo Toscanini, Désiré Defauw et Wilfrid Pelletier qui, dans une lettre datée du 26 décembre 1949, déclarait : « Vous êtes pour moi les racines de ce que nous avons de plus beau chez nous. Notre histoire, nos vieilles maisons, nos montagnes vivent dans vos interprétations de notre folklore. »  

 
Posté : 2016-10-31 17:14:22 par ANDREW WORKMAN | avec 0 comments
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Jean-Pierre Clairis de Florian

Bienvenue à Des Histoires Qui Résonnent. Dans cette émission, nous joignons Jean-Phillipe Proulx de la Société Histoire Canada en discussion avec Maureen Nevins de Bibliothèque et Archives Canada. Ils examinent deux anciens enregistrements canadiens: Plaisir d’amour – Musique de Jean-Paul-Gilles Martini, paroles de Jean-Pierre Claris de Florian, interprétée par Madeleine Cardinal, avec petit orchestre; et Ave Maria – Musique de Charles Gounod d’après Johann Sebastian Bach, interprétée par Emma Albani, avec piano.



Jean-Philippe : Pouvez-vous nous renseigner un peu sur l’auteur ainsi que les paroles de cette chanson?

Maureen : Plaisir d’amour est un poème de Jean-Pierre Claris de Florian, auteur dramatique, romancier, poète et fabuliste français né en 1755 au château de Florian dans les basses Cévennes.  Officier de dragons, il est un des familiers du château de Sceaux et le protégé de Voltaire, allié de sa famille.  C’est le grand succès de ses fables qui lui vaut d’entrer, à trente-trois ans, à l’Académie française.  En tant que fabuliste il est souvent comparé à Jean de la Fontaine, l’égalant ou le surpassant pour certains.

Banni de Paris en 1793 pendant la Révolution, Jean-Pierre Claris de Florian est arrêté et emprisonné.  Relâché après le 9 Thermidor, il meurt des souffrances endurées pendant sa détention, une année après, âgé de trente-neuf ans.  C’est dans sa nouvelle, Célestine, publiée à Paris en 1784, qu’on retrouve la romance Plaisir d’amour qui est introduite ainsi : « … elle entendit au bas de la grotte le son d’une flûte champêtre, elle écoute : et bientôt une voix douce, mais sans culture, chante sur un air ces paroles : »

Plaisir d’amour ne dure qu’un moment;
Chagrin d’amour dure toute la vie.
J’ai tout quitté pour l’ingrate Sylvie :
Elle me quitte, et prend un autre amant.
Plaisir d’amour ne dure qu’un moment;
Chagrin d’amour dure toute la vie.

Tant que cette eau coulera doucement
Vers ce ruisseau qui borde la prairie,
Je t’aimerai, me répétoit Sylvie :
L’eau coule encore; elle a changé pourtant.
Plaisir d’amour ne dure qu’un moment;
Chagrin d’amour dure toute la vie.

Jean-Philippe : Et qui a mis cette romance en musique?

Maureen : Le compositeur d’origine allemande Jean-Paul-Gilles Martini, qui a été charmé par ce poème. Né en 1741, Martini est connu principalement pour ses opéras, ses chansons et ses œuvres vocales sacrées.  Il est le premier à remplacer la basse continue par le clavier obligé dans les accompagnements de chansons.  Ses collections de romances et chansons sont des modèles importants dans les années 1780 et plus tard.  Connue alors sous le nom de Romance du chevrier, c’est au cours de la première moitié du 19e siècle qu’elle prend le nom de son incipit Plaisir d’amour.  Cette chanson fait partie de sa première collection et demeure importante dans le répertoire; sa douce mélancolie et sentimentalité sont appariées par une ligne vocale doucereuse et un accompagnement discret mais efficace.  Son succès est tel que Berlioz lui-même en réalise un arrangement pour petit orchestre en 1859.  Très populaire dans les cafés-concerts à la fin du 19esiècle, elle est aussi enregistrée par les plus grands interprètes du genre dont Yvonne Printemps en 1931, Tino Rossi en 1955 et même Joan Baez en 1961.

Jean-Philippe : L’enregistrement que nous venons d’écouter est de la mezzo-soprano Madeleine Cardinal et du baryton Louis Chartier. 

Maureen : Oui, justement.  Cependant, il faut aussi mentionner que l’enregistrement est une transcription et harmonisation du compositeur français Henry Février.  Malheureusement, nous ne connaissons que très peu la soprano québécoise Madeleine Cardinal sauf qu’elle a 10 enregistrements sonores à son nom, tous publiés à New York par la compagnie Columbia Graphophone pendant les années 1920 et 1921.  Des articles de journaux nous révèlent qu’elle a fait carrière non seulement au Québec mais aussi aux États-Unis.

Nous ne connaissons pas les dates de naissance et de décès de Louis Chartier mais d’après les informations disponibles, sa carrière était en pleine croissance entres les années 1914 et 1930. Il a fait carrière principalement à Montréal, où il ouvra un studio, mais il a chanté aux États-Unis en 1920 et 1921 à Detroit, Burlington, Fall River, Springfield et Worcester.  Nous pensons que Chartier est décédé aux États-Unis vers 1970.  Il a enregistré 38 chansons, airs et duos sur disques Brunswick, deux sur Melotone et 38 sur Columbia dont plusieurs duos avec Blanche Gonthier et Madeleine Cardinal.

Jean-Philippe : Et l’enregistrement lui-même?

Maureen : Cet enregistrement de Plaisir d’amour a été enregistré et lancé en 1921 par la Columbia Graphophone Company à New York sur disque 78 tours. 

[Musique : Plaisir d'amour, musique de Jean-Paul-Gilles Martini (1741-1816), paroles de Jean-Pierre Claris de Florian (1755-1794), interprétée par Madeleine Cardinal (mezzo-soprano) et Louis Chartier (baryton), avec petit orchestre.]

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Emma Albani

Jean-Philippe : Parmi les prières en l'honneur de la Sainte Vierge Marie, aucune n'est aussi connue et répandue dans toute la chrétienté que l'Ave Maria.  Pouvez-vous élaborer?

Maureen : C'est à partir du VIIIe siècle que plusieurs conciles en France, en Espagne, en Angleterre et en Germanie proposèrent cette prière au peuple chrétien : elle faisait partie de celles que tout fidèle devait connaître.  Les moines cisterciens et les religieux dominicains contribuèrent très activement à sa diffusion.  Saint Bonaventure et Saint Thomas d'Aquin reprirent aussi cette prière dans leurs traités.  Sa teneur, d’une grande simplicité, en facilite partout l'emploi, tant en public qu’en privé.

L’Ave Maria se compose de deux parties distinctes, d’origine différente.  La première moitié est constituée des salutations de l’ange Gabriel et d’Élisabeth à Marie, empruntées à l’évangile de Saint Luc (chapitre 1), dans les récits de l’Annonciation (verset 28) et de la Visitation (verset 22).  Formant maintenant un tout, ces deux salutations ont été rapprochées en une seule formulation qu’on trouve déjà à partir du Ve  siècle dans les liturgies grecques.  La seconde partie est composée de demandes à Marie, ajoutées à partir du XVI e siècle.  Dans un bréviaire édité à Paris en 1509, il est prescrit qu’au commencement de l’office, après le Pater Noster, on dira l’Ave Maria en y ajoutant : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pêcheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ». Cette formule a prévalu peu à peu, après l’adoption du pape Pie V en 1568, du nouveau bréviaire romain où elle est mise en bonne place.  Au début du XVII esiècle, elle est en usage dans toute l’Église. 

Jean-Philippe : L’Ave Maria a été mis en musique de nombreuses fois.

Maureen : Oui mais parmi les plus célèbres, il faut citer la version de Charles Gounod (1859) dont l'origine est le premier prélude du premier livre du Clavier bien tempéré de Jean Sébastien Bach.  L’enregistrement que nous avons choisi d’écouter aujourd’hui est de cette version.  C’est en effet une curiosité dans l’histoire de la musique – une collaboration musicale entre deux grands compositeurs dont les vies ne se sont pas chevauchées.  C’est une chanson dont la mélodie est écrite 130 ans après son accompagnement.

Gounod, fiancé à Mlle Anna Zimmermann, fille de l’inspecteur général des études au Conservatoire impérial de musique de Paris, allait souvent dîner chez des amis avec sa fiancée et ses parents.  Régulièrement il attendait dans le salon familial en improvisant au piano.  Un jour son futur beau-père, pianiste réputé et professeur de Bizet, entend Gounod improviser sur le premier prélude de Bach en do majeur, une mélodie qu’il juge ravissante.  Gounod le répète une seconde fois et Zimmermann s’empresse de la noter, puis quelques jours plus tard, il la fait entendre à Gounod, jouée par un violon, une quinte au-dessus, et soutenue par un petit chœur.  C’est ainsi qu’est née la Méditation sur un prélude de Bach qui par la suite, on verra comment, devient la fameuse Ave Maria, que Gounod n’écrit donc pas, mais qui a tant fait pour sa popularité.  Ajoutons que Zimmermann, qui avait conclu l'affaire avec un éditeur, remit à Gounod une somme de deux cents francs pour l’achat de l'œuvre.  

Mais l'histoire n'est pas finie!  Nous sommes en 1852, Gounod, séduit par la tendre mélancolie de quelques vers d’Alphonse de Lamartine, et porté peut-être à en attribuer le sens à une certaine... Rosalie pour laquelle il ressentait une vive et discrète admiration, eut l'idée d'adapter à la fameuse mélodie les vers suivants de Lamartine :

« Le livre de la vie est le livre suprême. Qu'on ne peut ni fermer ni ouvrir à son choix.  Le passage adoré ne s'y lit qu'une fois.  Le livre de la vie est le livre suprême.  On voudrait le fixer à la page où on l’aime.  Mais le feuillet fatal se tourne de lui-même.  Et la page où l'on meurt est déjà sous les doigts. »

Les prémices de cette adaptation où la musique exprimait si merveilleusement les paroles, sont apportées à Rosalie à laquelle elles sont dédiées.

Cependant la belle-mère de Rosalie, Aurélie, dont la piété s'effraye de la tendresse croissante de Gounod, peut craindre qu'un sentiment si contagieux n'atteigne sa fille dont Gounod ne se lassait pas d'entendre la voix divine.

Fort embarrassée et n'osant faire allusion à ses craintes ni auprès de Gounod, ni auprès de sa belle-fille, Aurélie eut l'idée ingénieuse de se servir de la religiosité accentuée de Gounod pour lui faire substituer à ces paroles profanes un texte moins compromettant.  Elle porta son choix sur l'Ave Maria et essaie d'écrire au-dessous des vers du poète, les paroles latines.  À part les premiers mots qu'elle ne parvient pas à faire entrer dans le thème musical, le reste est assez satisfaisant.  Elle montra donc son adaptation à Gounod qui s'en enthousiasma d'autant mieux que sa finesse d'esprit ne lui permet pas de se méprendre sur les intentions secrètes qui avaient poussé Aurélie à cette substitution.  Il retouche la version nouvelle et c'est de la sorte que les strophes exquises de Lamartine si harmonieusement adaptées au Prélude de Bach font place à la prière de l'Ave Maria, fort étonnée sans doute de se trouver accouplée à cette mélodie sentimentale.  Gounod dédia cette mélodie, dans sa forme définitive, ni à Rosalie, ni à Aurélie, mais à Mme Miolan-Carvalho, la grande cantatrice.

Jean-Philippe : Nous venons d’entendre la voix d’Emma Albani.  Pourriez-vous nous parler un peu de cette cantatrice? 

Maureen : Au 19e siècle, la soprano au talent exceptionnel Emma Lajeunesse a connu une carrière d’envergure internationale.  De 1870 à 1911, elle a chanté sur toutes les scènes du monde et particulièrement au Covent Garden de Londres.

Née le 1er novembre 1847 à Chambly de parents musiciens – Joseph Lajeunesse et Mélina Mignault – qui reconnaissent très tôt le talent exceptionnel de leur fille, elle apprend à l’âge de 4 ans le piano, la harpe et le chant.  Sa mère lui enseigne d’abord le piano, mais c’est son père, lui-même pianiste, harpiste, organiste et violoniste, qui assure sa formation musicale complète.  Suite au décès de sa mère en 1856, la famille déménage à Montréal et Emma devient pensionnaire au couvent des Religieuses du Sacré-Cœur.  En septembre de la même année, elle fait sa première apparition en public.  C’est le succès.   À partir de ce moment, elle donne plusieurs concerts.  Mais il est difficile de chanter, alors que Monseigneur Bourget veut bannir le théâtre, l’opéra et le cirque.  En août 1860, Emma Lajeunesse chante en présence du prince de Galles, venu assister à l’inauguration du pont Victoria.

Joseph Lajeunesse veut envoyer sa fille étudier en Europe.  Il organise un concert-bénéfice.  C’est un échec.  De plus, les journaux lui reprochent de ne pas donner à sa fille une jeunesse normale.  Il quitte le Québec et s’installe avec ses filles à Albany, New York.  Emma y obtient le poste d’organiste.  Déjà, on vient de partout pour l’entendre.  En 1868, elle part pour Paris et étudie enfin avec un grand maître.  Elle complète sa formation à Milan et n'hésite pas à suivre la recommandation de son professeur d'élocution, Delorenzi, en prenant, pour ses débuts italiens, le nom de scène Albani.

Le 2 avril 1872, Emma Albani débute à Covent Garden.  C’est le véritable commencement d’une longue carrière.

Jean-Philippe : Et l’enregistrement lui-même?

Maureen : Cet enregistrement d’Ave Maria a été enregistré en 1905 en Angleterre par Pathé Frères de Paris et distribué par la même compagnie sur disque 78 tours. 

[Musique : Ave Maria, musique de Charles Gounod (1918-1893) d’après Jean Sébastian Bach (Prélude BWV 846), paroles : Prière, interprétée par Emma Albani (soprano), avec piano.]


Posté : 2016-08-24 09:34:35 par ANDREW WORKMAN | avec 0 comments

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